1. L'Université américaine de Beaune (A.E.F. University)
2. L'école d'agriculture d'Allerey (Farm School)
3. La visite du Général Pershing
4. Le livre de C.L. Fitch
Au début de 1919, les Centres hospitaliers de Beaune et d'Allerey voient peu à peu leurs effectifs de blessés et malades diminuer, ainsi que ceux des personnels médicaux et d'encadrement. Ils sont regroupés dans des centres de rassemblement en vue de leur retour aux Etats-Unis.
Après l'armistice du 11 novembre 1918, "les Etats-Unis avaient décidé de se maintenir militairement en Europe, afin de monter la garde sur le Rhin", en attendant la signature du traité de paix avec l'Allemagne. Le Corps Expéditionnaire américain demeura donc en Europe, occupant une large zone de part et d'autre de Coblence. (27)
C'est alors qu'en janvier 1919, le G.Q.G. américain, désireux de maintenir ses unités avec leurs cadres, décida la création, en France, d'une véritable Université temporaire pour permettre aux étudiants mobilisés de reprendre leurs études, à proximité de leurs corps, avant leur rapatriement différé. (27)
Le G.Q.G. américain envoya en mission en Bourgogne, le 5 février 1919, à Allerey et à Beaune, le Colonel Reeves, pour reconnaître la capacité de transformation de ces deux hôpitaux en Université. Cet officier commandait alors le 137ème Régiment d'Infanterie qui s'était illustré sur le front de Saint-Mihiel. (27) C'était un universitaire, avant-guerre Président de la Norwich University (Northfield, Vermont). (28)
Dans son rapport, il conclut qu'Allerey conviendrait pour y installer une école supérieure d'agriculture et que le Camp Hôpital de Beaune devrait être choisi pour y aménager l'Université américaine temporaire projetée. (27)
Le 8 février, Beaune était définitivement choisie, et les bases de la "A.E.F. University" ainsi définies : "L'université du Corps Expéditionnaire américain est créée pour le bénéfice de tous les étudiants des forces américaines qui ne peuvent être envoyés dans les université françaises et anglaises et qui sont cependant qualifiés pour étudier en collège ou université. (27)
Le 11 février, la commission arrivait à Beaune avec le Colonel Reeves pour organiser l'Université. Le 12, celui-ci était nommé "superintendant" et "officier commandant de l'American E.F. University" nouvellement créée à Beaune. (27)
De toutes les unités stationnées en Europe, seront acheminés sur Beaune (et Allerey) plus de 9 500 étudiants-militaires de tous grades répartis dans les diverses disciplines scientifiques et littéraires, ainsi que plus de 600 professeurs et assistants, la plupart officiers, originaires de toutes les universités américaines.(27)
L'hôpital d'Allerey fut donc transformé en ferme-école tandis que celui de Beaune accueillait les facultés dispensant tous les autres enseignements : écoles des beaux-arts, de commerce, de droit, de formation des enseignants, d'ingénieurs, de journalisme, de lettres, de médecine militaire, de musique, et même enseignement par correspondance. (27)
Le tableau de l'encadrement (table XIV), ci-dessous, montre toutefois la prédominance de trois "collèges" (faculties) : Lettres (131), Génie civil (Engineering) (106), Sciences (95).
Un "chairman" (sorte de recteur) est nommé comme Directeur (educational director of the University). Le titulaire est un universitaire, M. John Erskine, professeur d'anglais à Columbia University (New-York). (27)
Les étudiants étaient originaires de tous les états des Etats-Unis et même de pays étrangers, comme l'indique le tableau ci-après (table XVI).
Après trois ou quatre semaines de travaux intensifs de transformations, de constructions nouvelles et d'aménagements divers, les cours purent commencer progressivement. Tout avait été fait "pour que, sinon par l'aspect, l'environnement créât l'atmosphère des collèges américains".
Dans cette curieuse université dont le fonctionnement était prévu pour un minimum de trois mois et à laquelle le haut commandement américain attachait tant d'importance, l'emploi du temps journalier, très serré, fut appliqué à partir du 15 mars. (27)
La bibliothèque renfermait 30 000 volumes et occupait un nombreux personnel, en partie féminin (une quantité importante de ces ouvrages ont été donnés à la Bibliothèque municipale de Beaune, au départ des Américains).
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Le calendrier d'installation et de fonctionnement de la ferme-école d'Allerey (Farm School) avait été le même qu'à l'Université de Beaune.
"Sous la direction de M. J. H. Baker, directeur de l'enseignement agricole dans le Connecticut, on mit sur pied en quelques semaines, à Allerey, une école destinée à accueillir 3 000 étudiants. Cette énorme tâche fût menée à bien, à la grande satisfaction de tous ceux qui fréquentaient cette école d'Allerey". (C.L. Fitch).
Après les aménagements nécessaires dans l'ex-centre hospitalier, laissé à peu près vide en février, les bâtiments furent occupés au début de mars par les soldats-étudiants. "Le Courrier" écrit à la date du 17 mars 1919 : "Les Américains arrivent. --- Comme nous l'avons annoncé, les soldats américains venant former l'Université de Beaune, commencent à arriver à Allerey. Verdun reçoit chaque jour la visite de nombreux soldats, à l'avantage et à la satisfaction des commerçants, qui bénéficient des plantureuses dépenses de nos alliés."
Les statistiques de l'A.E.F. University de Beaune donnent pour Allerey un effectif de 2 353 étudiants, encadrés par 96 professeurs et instructeurs. On pourrait y ajouter les 676 étudiants de la faculté ("college") d'Agriculture de Beaune qui délivrait un enseignement à dominante scientifique et théorique.
A Allerey, les cours pratiques étaient donnés à tous les jeunes hommes désireux de se consacrer à la culture à leur retour aux Etats-Unis. Ils étaient alors dotés d'un brevet décerné par l'Université de Beaune.
Lors des inscriptions, voici ce qui avait été affiché à l'Université à l'intention des candidats à l'école d'agriculture d'Allerey : "The town of Allerey is about ten miles south of Beaune. The surrounding country is beautiful and has splendid agricultural possibilities " ("La ville d'Allerey est à dix miles au sud de Beaune. La contrée environnante est belle et offre de magnifiques possibilités agricoles").
La direction administrative était assurée par le Dr Baker, directeur, deux directeurs adjoints, un officier d'intendance et 16 assistants.
Les responsables des différents départements étaient
* le capitaine Hamilton pour l'agronomie ;
* le lieutenant Drew, pour chevaux et bétail
* le lieutenant Frank, pour l'horticulture ;
* le lieutenant Bayne, pour l'économie et la sociologie agricoles
* le lieutenant Miller, pour les machines agricoles ;
* le docteur Kerlin, pour la médecine vétérinaire (et l'anglais).
Chacun avait sous ses ordres des instructeurs : 13 en agronomie ; 27 pour bétail et chevaux; 14 en horticulture (dont M. C.L. Fitch, dont il sera question plus loin) ; 14 en économie et sociologie agricoles ; 3 pour les machines agricoles.
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Vues du camp d'Allerey (Ecole d'Agriculture) en 1919. |
Les archives de l'Université de Beaune fournissent un ensemble d'informations assez détaillées sur l'organisation et le fonctionnement de l'Ecole d'Agriculture d'Allerey, comme sur le contenu des cours dans les diverses matières étudiées. Faute de renseignements provenant d'autres sources, voici le texte intégral de ces archives :
* BUT DE L'ECOLE
L' American E.F. University Farm School a pour objet:
1. D'assurer un cours pratique d'agriculture à ces jeunes gens qui désireraient devenir fermier à leur retour aux Etats-Unis.
2. De familiariser ceux qui ont une certaine connaissance des travaux de la ferme avec les diverses branches de l'agriculture, de manière à leur faciliter le choix du type de travail qu'ils envisagent et de la région où s'installer
3. D'enseigner les avantages, les difficultés et les occasions offertes par la vie rurale, et de développer le sentiment que l'agriculture est un métier d'importance essentielle.
Conditions d'admission --- Tout membre des Forces expéditionnaires américaines intéressé par un cours pratique d'agriculture peut être admis à l'Ecole d'agriculture. Aucune condition de niveau d'instruction n'est imposée.
Diplômes --- Les étudiants ayant terminé le cours des études avec satisfaction recevront le diplôme de l'American E.F. Farm School.
Site --- L'Ecole d'agriculture occupe les lieux de ce qui fut naguère un hôpital de 10 000 lits, sur une vaste étendue près de la ville d'Allerey, Saône-et-Loire, à environ dix miles (16 km) au sud de Beaune, Côte d'Or. Les environs sont très beaux et possèdent d'excellentes qualités agricoles. Ils sont connus depuis longtemps comme la région viticole la plus célèbre de France, et la culture des poires et des fraises atteint un fort développement dans les alentours.
Corps enseignant --- Le corps enseignant se compose d'officiers et soldats possédant une expérience pratique des travaux de la Terre et ayant reçu une formation scolaire en agriculture.
La ferme (de l'école) --- L'Ecole possède 250 acres (13 ha) de terre labourable, que l'on plante en cultures fermières.
Cheptel --- Le cheptel de la ferme comprend : 80 chevaux et mulets, dont 30 sont employés aux travaux de la ferme, le reste servant à l'apprentissage des élèves ; 11 bêtes laitières(29) ; 50 porcs ; 100 poules. En outre, on espère que des associations européennes d'élevage nous prêterons des percherons pur sang et des chevaux français d'attelage, ainsi que des moutons pur sang, des porcs et de la volaille.
Matériel --- La ferme est équipée de machines agricoles des plus modernes, choisies parmi celles qui ont été importées par le U.S Garden Service en vue de cultures extensives pour les Forces expéditionnaires américaines.
Exposition agricole --- Une exposition agricole pédagogique, présentant des travaux agricoles dans les diverses régions des Etats-Unis par le U.S Department of Agriculture (Ministère américain de l'Agriculture). Elle est installée dans un énorme bâtiment spécial à l'épreuve du feu. On y voit exposés des procédés de surveillance des maladies des végétaux et des animaux, des fermes modèles, du matériel fermier et de ménage, des outils agricoles, etc.
Salles de classe --- L'une des unités hospitalières à été remaniée et transformée en salles de classe et en laboratoires.
Logement --- Les hommes et les officiers de l'Ecole sont confortablement logés dans des baraquements en bois, utilisés antérieurement comme salles d'hôpitaux.
Exercices militaires --- Quarante minutes sont consacrées chaque jour de la semaine aux exercices militaires, à l'exception du samedi, jour où la visite de l'inspecteur dure deux heures.
Réunions d'information --- A raison de deux soirs par semaine, on réunit l'ensemble des étudiants pour une réunion d'information de trente minutes. On a choisi comme conférenciers des hommes parmi les plus compétents d'Europe et des Etats-Unis. Les allocutions ont pour objet d'aider les élèves à choisir leur métier, à mieux comprendre la relation entre les Etats-Unis et les problèmes internationaux, et à mieux saisir le sens du mot citoyenneté.
Groupements d'élèves --- Deux soirées par semaine sont consacrées à des réunions par groupes : groupes des laitiers, groupe de la volaille, groupe des fruits, groupe de la viande de buf, etc. Ce sont des groupements d'élèves en présence d'officiers-étudiants chargés d'exposer leur programme propre.
Séance de détente --- Les élèves disposent de deux heures de détente par jour. Des moniteurs d'éducation physique et des entraîneurs résident à l'école. Ceux qui ont des dispositions pour les divertissements ont une bonne occasion d'exercer leurs talents.
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* LES DIVERS ENSEIGNEMENTS (on trouvera la liste en Annexe n° 3)
Les quelques 2 500 Américains qui étudiaient ou encadraient les étudiants à Allerey ne donnaient pas autant d'animation au village et aux alentours que les milliers de soldats et civils hébergés précédemment au camp-hôpital. Mais les contacts avec la population demeuraient les mêmes.
Les habitants d'Allerey, en majorité cultivateurs, observaient avec intérêt et parfois avec étonnement les activités des futurs agriculteurs américains. Les uns remarquaient leur élevage et leur matériel agricole perfectionné, d'autres leur façon d'attacher le bétail. L'un d'eux avait vu pour la première fois de sa vie un tracteur avec une charrue à cinq socs. Un autre avait fauché une grande surface de pois laissée par les Américains à leur départ...
Mais brusquement, au début de juin, le haut commandement américain décida la fermeture de l'Université et le rapatriement de tous les étudiants. Les examens eurent lieu à Beaune et Allerey dans la semaine du 4 au 7 juin.
Puis du 7 au 15, les départs s'échelonnèrent par trains complets, de Beaune vers Marseille, Brest, ou la Rhénanie (pour tous les soldats non libérables). Ne restèrent, à Allerey comme à Beaune, qu'un faible contingent de militaires pour en assurer la garde et procéder à la liquidation du matériel et des stocks.
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L'Université américaine de Beaune, qui regroupait dix fois plus d'étudiants que l'Université de Dijon, fut en ce début de 1919, une réalisation si remarquable et extraordinaire qu'elle attira des visiteurs tout aussi exceptionnels.
La veille de Pâques, le ministre français de l'Instruction Publique du gouvernement Clémenceau, M. Laferre, était venu spécialement pour étudier et admirer en détail cette création originale. Un train spécial amena de Paris jusqu'à la gare du "camp américain" le ministre accompagné de nombreux hauts fonctionnaires, de professeurs de la Sorbonne et d'ingénieurs du P.L.M. Le "Journal de Beaune" note que l'attrait "d'une visite de l'immense camp, et plus particulièrement à l'exposition d'Agriculture de l'Université, la venue d'un membre du gouvernement français, tout cela avait attiré un public nombreux..." La visite de l'Université sous la direction de M. Erskine, durera plus de deux heures.
Puis le lundi de Pâques, ce fut la venue du commandant en chef des forces américaines, le général Pershing, et de M. Baker, secrétaire d'Etat américain à la Guerre, empêchés le jour précédent.
Arrivés à 6 heures et demie par train spécial, ils commençaient aussitôt la visite de l'Université et ils voulurent tout voir.. jusqu'à midi ! Puis ils s'adressèrent aux quinze mille hommes réunis autour d'une estrade.
L'après-midi, après la visite traditionnelle de l'Hôtel-Dieu, le cortège partit pour Allerey visiter l'école d'agriculture installée dans l'ex-hôpital. Le "Courrier" relate l'arrivée du général et du ministre à Beaune, puis à Allerey où ils furent accueillis par les chefs américains et les autorités locales. On peut regretter qu'il n'ait pas donné de détails sur l'événement dont on a presque uniquement un cliché du photographe verdunois Chandioux. On y voit, en haut d'une estrade, le général Pershing, le colonel Reeves (?) et le secrétaire d'Etat Baker, s'apprêtant à saluer les cadres et étudiants rassemblés devant les bâtiments du camp.
Une Verdunoise avait gardé longtemps après la visite mémorable du général Pershing à Allerey, le souvenir de cette réception à laquelle elle avait assisté : "Tous ces jeunes soldats au garde à vous, dans une tenue impeccable, pendant le discours du général, c'était impressionnant. Et c'était la première fois que nous entendions l'hymne américain ......
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La préparation d'une exposition, en 1979, sur "le camp américain d'Allerey" m'avait amené à consulter des documents de la B.D.I.C. (Bibliothèque de Documentation Internationale Contemporaine) à Nanterre. Parmi les publications de cette bibliothèque figurait un ouvrage américain "Some Women of France" présentant un intérêt exceptionnel, puisque rédigé en 1920 par un Américain ayant appartenu au corps professoral de l'Ecole d'Agriculture d'Allerey en 1919. En outre, une partie importante des textes et de nombreuses photographies concernent la commune d'Allerey et la région environnante.
L'auteur de cette étude, C.L. Fitch, était, d'après les archives de l'Université de Beaune, instructeur de la section "Horticulture" de la ferme-école d'Allerey. Dans sa préface, il indique qu'il "était membre du corps professoral de l'Armée et était en garnison à Allerey" et que l'ouvrage "Quelques femmes de France" est l'aboutissement d'un "travail annexe" de l'Université des A.E.F. de Beaune et Allerey.
"On lui avait confié, dit-il, la tâche d'étudier et d'interpréter, pour les membres de la Faculté et les étudiants de cette grande école, la vie française, son commerce et son agriculture, tels qu'ils se présentaient dans les alentours. Des sorties furent organisées aux endroits offrant des thèmes d'un intérêt particulier, avec discussion sur les lieux-mêmes."
Le travail fut d'une ampleur telle qu'il fallut employer à temps complet dix personnes : deux secrétaires, un interprète, deux lieutenants faisant fonction d'enquêteurs, quatre photographes, et l'auteur, C.L. Fitch lui-même.
A la suite de ces études, enquêtes et photographies, les documents et clichés rassemblés furent mis gratuitement à la disposition des étudiants pour qu'ils les examinent, en envoient chez eux et achètent éventuellement des exemplaires des photos à prix coûtant. C'est ainsi que jusqu'à leur départ, ils s'étaient procurés et avaient envoyé à travers tous les U.S.A. plus de 15 000 de ces clichés. Bien des familles américaines doivent encore posséder aujourd'hui des vues d'Allerey et de la région et de certaines personnes de cette époque. La photo préférée des étudiants fut celle d'un couple de vieux paysans de Bragny dont environ 300 exemplaires furent expédiés outre-Atlantique.
Pratiquement, dès le début de ces travaux, C.L. Fitch et des collaborateurs se rendirent compte que le soldat américain n'avait pas une vision exacte du rôle et des qualités des femmes de notre pays. "Leur faire percevoir dans notre école, écrit C.L. Fitch, ce que ces femmes avaient de remarquable, c'était une des choses les plus importantes que nous pouvions faire, d'où l'intérêt particulier" qui sera accordé ensuite à cet aspect de la vie en France, dans le livre qu'il projetait d'écrire.
Après la fermeture de l'école et durant les quatre mois qui suivirent en France, d'autres documents furent collectés. La plus grande partie du livre de C.L. Fitch fut préparée en France, puis en mer à bord du vapeur "La France" en octobre 1919. Dès 1920, cet ouvrage paraissait à Ames (Iowa), aux frais de l'auteur, et "bien que ce livre, dit-il, n'était pas d'abord destiné à gagner de l'argent, nous espérons que sa vente couvrira les frais engagés..." Il apparaît que C.L. Fitch n'a pas rédigé son livre pour en tirer du profit, mais pour ses étudiants, leurs familles et un cercle de lecteurs universitaires ou amis.
C'est pour nous une chance que le seul exemplaire connu en France (semble-t-il) nous soit parvenu, grâce à la B.D.I.C. Il a fait, en 1985, l'objet d'un numéro spécial de "Trois Rivières", bulletin du G.E.H. Verdun, où de larges extraits furent reproduits, après traduction, avec un choix de nombreuses photos concernant plus spécialement Allerey et la région verdunoise. Cette publication étant aujourd'hui épuisée, nous donnerons ci-après quelques passages et illustrations les plus intéressantes pour nos lecteurs.
C.L. Fitch a partagé son ouvrage en trois parties.
La première, "Some Women in France" (58 pages, 77 photos) donne son titre à l'ensemble ; la deuxième partie "Agricultural and Commercial Ideas and photographs of France " (54 pages, 94 photos) nous rappelle que l'auteur est un spécialiste de l'agriculture ; la troisième partie "Ideas and Morals of France and America " (58 pages, 30 photos) offre, comme la deuxième un moindre intérêt sur le plan local qui nous concerne :
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* Portraits de femmes françaises (quelques passages)
"Les hommes étant partis à la guerre, écrit C.L. Fitch, les femmes ont supporté seules le fardeau du commerce, de l'agriculture, de la maison... Les femmes d'aujourd'hui, en remplaçant les hommes pour des travaux pénibles, ont permis d'envoyer au front plus de soldats que l'Amérique n'en a fourni à la France... Si nous avons gagné la guerre, c'est aussi l'uvre des femmes : sans leur travail héroïque et leur dévouement, pas de victoire...
En France, nos soldats ont eu plus de contacts avec les femmes qu'avec les hommes, car ceux-ci étaient loin des maisons, des villages et des camps où étaient cantonnés les Américains.
Dans les campagnes, dans les champs, nous apercevons des femmes, des jeunes filles qui gardent des troupeaux d'oies, de moutons et de vaches... La France est devenue un pays où la nourriture est rare et chère, alors que le temps de travail des femmes est bon marché... si l'on peut élever des moutons pour la laine (qui sert à recouvrir le crin des excellents matelas) ou pour la viande, les femmes le font volontiers...
A Saint-Martin, près d'Allerey... beaucoup de femmes gagnaient de 300 à 500 dollars par an avec les oies qu'elles élevaient et vendaient à nos soldats et à nos officiers blessés...
Au Petit et au Grand Pussey, deux villages près d'Allerey, le gardien de troupeaux des communaux avait deux filles... Le matin, de bonne heure, la cadette, parfois avec son père, parfois seule, traverse les deux villages en soufflant bruyamment dans sa "corne" (pour emmener les bêtes au pâturage, ainsi que le soir pour le retour)... l'aînée, restait plus à la maison, aidant sa mère à la lessive et au repassage qu'elle faisait pour les soldats américains... Elle s'occupait aussi de la vieille chèvre et de ses chevreaux...
Nos soldats qui séjournèrent en France se souviendront toujours des femmes qui, partout faisaient la lessive en plein air.. Pendant la guerre, il y avait peu de savon, et plus que jamais, il fallait laver les vêtements à la seule force des bras. Les femmes, n'ayant pas l'eau à la maison, elles devaient porter le linge à la rivière, et comme il n'y avait pas de machine à laver, elles devaient tout faire à la main...
Partout, dans les champs, les femmes font le travail des hommes. Elles y ont toujours participé, bien sûr, mais pendant la guerre, elles ont dû délaisser leurs maisons, leurs filles, leurs petits pour que le travail nécessaire à la nourriture se fasse...
Un dimanche après-midi, accompagné d'un groupe d'étudiants, je suis allé à Corcelle, rendre visite à une femme qui avait beaucoup souffert. (Sa fille a perdu son mari le jour où il est retourné au front, après leur mariage. Le père est mort de chagrin. Les femmes continuent la tâche ... ) Elle exploitait une ferme de 110 acres (44 hectares), ce qui est important pour la région qu'elle habitait. Elle avait embauché cinq personnes. Elle avait réussi à faire tourner la ferme grâce à l'aide de jeunes garçons, de femmes et de personnes âgées..."
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* Aperçus de l'agriculture et du commerce
N'oublions pas que C.L. Fitch était instructeur à la section "Horticulture" de la ferme-école d'Allerey, et même en parlant de la vie des Françaises, il évoque souvent des personnes vivant dans des exploitations agricoles ou maraîchères. Dans cette deuxième partie de son livre, il est beaucoup question d'agriculture et activités annexes. Il note par ailleurs certaines différences qu'il constate, dans les façons de vivre et de travailler entre la France et les Etats-Unis. Il s'intéresse, entre autres, à l'exploitation des forêts en France, aux villages et au morcellement des propriétés, à l'arrosage et aux engrais, aux jardins et arbres fruitiers, aux écoles d'agriculture françaises, dont celle de Fontaines (Saône-et-Loire).
La vie économique, le commerce, retiennent également son attention. Il parle de la construction en France, de canaux et d'aménagement de rivières, des hôtels, de la cuisine française, de publicité, de l'école publique française, etc.
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* Idéaux et morales en France et en Amérique
L' auteur compare plus longuement qualités et défauts respectifs des deux nations. Propos que l'on peut résumer ainsi : ce qui caractérise l'Amérique : la réussite, la camaraderie ; ce qui lui manque le sens du devoir --- Ce qui caractérise la France : la beauté, la sécurité ; ce qui lui manque : la pureté.
Il mentionne en particulier la situation dans et aux abords des camps (M.S.T. ---maladies sexuellement transmissibles---) et les mesures de police militaire contre les ventes d'alcool.
En conclusion, pour caractériser le travail de C.L. Fitch, nous le définirions en reprenant les termes du bureau parisien des Y.W.C.A. (Union des Jeunes Femmes Chrétiennes) : "Son intérêt primordial semble être les plantes et les gens". On pourra aussi penser qu'il idéalise parfois la femme française, alors qu'il est assez critique à l'égard des hommes et des murs de notre pays. Mais devons-nous juger avec nos critères de 1999 ce qu'exprimait un fils de l'Amérique en 1919 ?