L'OFFENSIVE ALLEMANDE DU 27 MAI 1918

Les raisons de l'offensive allemande.

Les deux grandes offensives allemandes de mars et d'avril 1918, malgré la surprise et la puissance des moyens d'action mis en jeu, avaient en définitive échoué. L'ennemi n'avait pu prendre ni Amiens, ni Béthune, ni Ypres. Bien qu'ils eussent fait donner 152 divisions dans ces offensives, les Allemands n'avaient ni entamé durablement les armées alliées, ni brisé leur résistance. Au cours de leurs attaques contre le front britannique, ils s'étaient trouvés chaque fois, beaucoup plus rapidement qu'ils ne le prévoyaient, en présence des forces françaises accourues et ces batailles de mars et d'avril avaient, avantage décisif, réalisé l'unité de commandement. Contre Ludendorff, Foch, au nom de tous les Alliés, allait désormais jouer la rude partie.

L'ennemi ne pouvait rester sur cet échec: l'opinion allemande grondait, impatiente de la paix victorieuse tant de fois annoncée et il fallait achever de profiter de la supériorité numérique, acquise par suite de la défection russe, pour obtenir la décision avant la pleine entrée en ligne des troupes américaines.

Avant de reprendre le coup manqué contre l'armée britannique, Ludendorff va chercher à attirer vers le sud ces réserves françaises qui l'ont empêché de vaincre ; il s'efforcera de les user et de les épuiser pour avoir enfin les mains libres dans le nord. De là l'attaque du 27 mai sur le front de l'Aisne.

Ce front offrait l'avantage d'être complètement équipé et de pouvoir recevoir rapidement l'artillerie lourde déployée sur le front de la Somme ; de plus le terrain d'attaque était connu des troupes et l'ennemi le savait faiblement tenu par les Alliés. Les réserves de Foch étaient en effet insuffisantes pour couvrir tout le front. L'attaque allemande pouvant indifféremment se déclencher sur la Lys, la Somme, l'Oise ou l'Aisne, le généralissime avait concentré ses forces sur les points d'importance vitale où une avance sérieuse de l'ennemi aurait mis en péril immédiat Paris ou la mer, et sur des positions moins favorisées an point de vue défensif que le Chemin des Dames.

Le dispositif d'attaque et les forces en présence.

Voir la carte ci-dessous.

Dès le 19 mal, avec une minutie de précautions incroyable, l'ennemi commence sa concentration. La plupart des divisions gagnent le front par marches de nuit, les roues des canons, des véhicules de toutes sortes sont matelassées, les sabots des chevaux garnis de chiffons pour éviter le moindre bruit.

LE DISPOSITIF D'ATTAQUE ALLEMAND,
LES FORCES EN PRÉSENCE

Ludendorff concentre 42 divisions sous le commandement de von Boehn, chef de la VIIe Armée, qui tient le front entre Pontoise et Berry-au-Bac. L'aile gauche de la VIIe Armée est prolongée par 4 divisions de la Ire Armée (von Below) qui occupent le secteur de Berry-au-Bac à Reims et prendront part à l'attaque.

L'ordre de bataille allemand, s'étend entre l'Oise et Reims, sur trois zones d'attaque : une zone centrale de Leuilly à Berry-au-Bac, qui est le secteur principal; deux zones d'attaque secondaires aux ailes : à l'ouest entre Pontoise et Leuilly ; à l'est entre Berry-au-Bac et Reims.

Au centre, où doit se porter l'effort principal, sont réunies 28 divisions de choc prises parmi les meilleures et les plus rompues aux nouvelles méthodes d'attaque. Sur ces 28 divisions, 23 ont fait partie de la fameuse armée d'assaut von Hutier, qui, en mars, a défoncé sur la Somme le front de la Ve Armée britannique.

Toutes les bonnes divisions, sauf 2, avaient été mises au repos à l'arrière dans le milieu d'avril et soumises à un entraînement intensif en vue de la nouvelle bataille. Toutes les divisions de 1re ligne connaissent le terrain de l'attaque pour l'avoir défendu l'année précédente, certaines ont même pour objectif le secteur où elles étaient en ligne pendant la bataille du Chemin des Dames de 1917. Après le 5 juin, 5 autres divisions seront encore engagées, soit au total 47 divisions, correspondant à près de 60 françaises, car, les régiments allemands ayant 3 compagnies de plus que les régiments français, la division allemande comprend un régiment de plus que la division française.

Le dispositif d'assaut est identique à celui employé dans la bataille de la Somme. Chaque division a deux régiments en 1re ligne et un en réserve ; chaque régiment de tête a deux bataillons accolés, échelonnés en profondeur, et un bataillon en soutien. A chaque division sont adjoints des bataillons d'assaut, des compagnies de flammenwerfer, des détachements indépendants de mitrailleurs, des compagnies cyclistes, des bataillons de montagne. Chaque régiment est muni d'un nombre considérable de mitrailleuses lourdes et légères, de minenwerfer équipés en canons d'accompagnement ; ces canons d'accompagnement sont si nombreux qu'on en compta jusqu'à 68 batteries de 4 pièces pour deux régiments.

L'attaque d'infanterie doit être préparée et soutenue par une masse inusitée d'artillerie de tous calibres ; sur le front de Leuilly-Berry-au-Bac, elle fut évaluée à 1.450 batteries, soit une densité de 30 batteries an kilomètre, dont 20 batteries d'appui d'infanterie ; cette densité est supérieure à celle des précédentes offensives allemandes de 1917 et 1918.

A la concentration formidable des Allemands, les Alliés n'opposent, pour les raisons données plus haut, que des forces bien inférieures en nombre. De Tracy-le-Val à Leuilly et de Pinon à Craonnelle s'étendent les 30e et IIe corps français (6e Armée, commandée par le général Duchesne) ; leurs Quartiers Généraux respectifs sont à Tartiers et à Braine. De Craonnelle aux faubourgs de Reims, la ligne est tenue par le 9e corps britannique, mis à la disposition du général Micheler commandant la 5e Armée. Reims même est défendue par le IIe corps colonial (Mazillier) qui est en contact à sa gauche avec la 45e D.I. (Naulin)---formant l'aile droite du corps britannique.

La plus grande partie de ces troupes ont déjà été engagées dans les grandes batailles de mars et d'avril.

 

LA RUPTURE DU FRONT ALLIÉ

Journées des 27 et 28 mai 1918.

Après une préparation d'artillerie commencée à minuit, puissante et prodigue en obus toxiques, l'infanterie allemande s'élance entre 3 h. 30 et 4 heures, précédée d'un intense barrage roulant, et sur certains points de chars d'assaut. La surprise est complète. Les troupes françaises qui ont tenu héroïquement sous le bombardement, résistent désespérément : le 21e territorial. dans les environs de Laffaux, se fait tuer sur place plutôt que de reculer, mais le flot allemand submerge tout.

LA PROGRESSION ALLEMANDE LES 27 ET 28 MAI.

A l'ouest, un corps d'armée et une division débordent la forêt de Pinon et convergent vers le plateau de Laffaux sans pouvoir atteindre l'Aisne, pendant qu'un autre corps prend pied sur le Chemin-des-Dames et progresse par infiltration vers Vailly.

Au centre, où l'attaque est plus dense et plus poussée, l'avance est plus rapide. Deux corps d'armée atteignent l'Aisne entre 10 et 11 heures, entre Chavonne et Concevreux. Un autre corps atteint également la rivière dans la matinée, entre Concevreux et Berry-au-Bac.

A l'est, un corps d'armée attaque du nord au sud et se maintient à hauteur de son voisin de droite.

Dans l'après-midi, l'avance se poursuit au sud de l'Aisne, plus rapide au centre qu'aux ailes. La Vesle est atteinte, vers 19h30, dans la région de Bazoches et dans la région de Magneux ; Fismes et Braine tombent au pouvoir de l'ennemi.

An soir du 27, les divisions de première ligne ont seules combattu ; elles ont parcouru au centre de 15 à 20 kilomètres, sans grosses pertes, refoulant le 11e corps français et le 9e corps britannique qui ont lutté avec une énergie farouche, tentant vainement de suppléer au nombre par la bravoure.

Le 28, à la pointe du jour, l'ennemi reprend l'attaque, augmentant ses efforts sur les ailes en raison du peu de succès qu'il y a remporté la veille. A l'ouest, le 30e corps français, éprouvé par les combats du 27, fait entrer en ligne des divisions de renfort pour couvrir Soissons menacé d'encerclement. Il parvient à contenir l'adversaire du côté du Nord, à hauteur de Cuffies, Crouy et Bucy-le-Long; mais, sur sa droite, les Allemands qui ont franchi la Vesle dans la nuit et se sont avancés en coin par la vallée du Murton, se dirigent par l'est vers Soissons où quelques éléments avancés parviennent tardivement pour en être aussitôt rejetés.

Au centre, le 11e corps est de nouveau contraint à reculer : Mont-Notre-Dame, Bruys, les bois de Dôle sont perdus.

A l'est, la bataille est également violente. Le 9e corps britannique perd les crêtes du Massif de St-Thierry et recule, particulièrement sur sa gauche où l'ennemi dépasse l'Ardre et parvient à s'installer sur les plateaux au nord d'Arcis-le-Ponsart. A ce moment, le 21e corps (Degoutte) arrive à la rescousse. A l'extrême droite, des coloniaux et les troupes algériennes de la 45e D. I. interdisent le passage de la Vesle à l'ouest de Reims.

L'usure de l'ennemi est considérable ; il a dû engager des divisions de 2e ligne.

 

LA PROGRESSION ALLEMANDE DU 29 MAI (29/5) AU 31 MAI (31/5)

LA POUSSÉE AUX AILES ET LA COURSE A LA MARNE

Journées des 29, 30 et 31 mai.

Carte ci-dessus.

Le 28 au soir, une conférence réunit l'Empereur, le Kronprinz impérial, Hindenburg et Ludendorff. Devant les résultats inespérés qu'il vient d'obtenir, le commandement allemand modifie ses plans. L'action en cours, qui, primitivement, devait être plutôt une diversion précédant une attaque générale sur le front britannique, va devenir l'offensive principale.

Ludendorff donne l'ordre de brusquer l'attaque aux ailes et d'exploiter à fond le succès au centre pour atteindre la Marne au plus tôt et couper la voie ferrée Paris- Châlons-Nancy.

A partir du 29, la bataille se développe. A l'aile gauche, les divisions françaises qui défendent Soissons par le nord, écrasées sous le nombre, reculent vers l'ouest sans cependant abandonner Cuffies et découvrent ainsi la ville en flammes où l'ennemi pénètre après de violents combats de rues qui lui coûtent cher.

La division du Maroc, arrivée à midi dans la région de Chaudun, est aussitôt portée aux lisières est de Soissons et le long de la Crise, en soutien des débris des 1res lignes. Des divisions fraîches, amenées au sudest de la ville, ont l'ordre de s'opposer à tout prix à la poussée allemande; elles accomplissent leur mission jusqu'au sacrifice suprême.

Le 9e bataillon de chasseurs (4e D. I.), entre autres, fait des prodiges à Hartennes et à Taux. L'ennemi ne parvient à accomplir aucun progrès sérieux dans cette direction, mais, au centre de la bataille, ses efforts vers le sud permettent à deux de ses corps d'armée d'atteindre et de dépasser Fère-en-Tardenois.

Plus à l'est, les Allemands continuent leurs progrès dans la vallée de l'Ardre. Ils refoulent la 45e D. I. et les coloniaux chargés de la défense de la Vesle et s'approchent dans la soirée de Gueux et de Tramery. Reims est toujours couverte par les lignes inexpugnables de La Neuvillette.

Le 30 mai, de grand matin, l'ennemi attaque à l'ouest et au sud de Soissons, soutenu par une puissante artillerie et pousse en direction de la forêt de Villers-Cotterets.

Au nord de l'Aisne, la 170e D. I. (Rondeau), à cheval sur la rivière, résiste aux assauts les plus rudes. A sa droite, la division du Maroc (Daugan), tendue de Mercin à Léchelle, oppose à la ruée sa résistance habituelle.

La légion étrangère, à la Montagne de Paris, constitue un roc inébranlable ; puis viennent les tirailleurs et les zouaves qui, dans un combat épique aux nombreux flux et reflux, barrent, à la nuit tombée, la route à hauteur de Chaudun, Chazelle et Vierzy.

Plus au sud les chasseurs de la 41 D. I. font merveille au Plessier-Huleu la progression allemande est lente également de ce côté, tant la résistance de la 4e D. I. (Rémond) est farouche.

L'ennemi s'avançant avec peine entre Parcy-Tigny et Grand-Rozoy n'occupe Oulchy-le-Château qu'après de durs combats.

Au centre, parmi les divisions allemandes qui viennent de se grossir de deux nouvelles unités, c'est une course à la Marne. La première y arrive vers 14 heures, la seconde vers 18 heures, se dirigeant vers Château-Thierry que vient défendre la 10e D. I. coloniale (Marchand).

Le front français, à l'est de la poche ainsi formée, se maintient sensiblement de Verneuil à Ville- en-Tardenois d'où il rejoint les positions de Janvry et de Gueux.

La résistance française se fait sans cesse plus efficace et plus agressive. Foch a pu écarter avec certitude l'hypothèse d'une feinte ennemie. Dès lors, Pétain fait affluer les renforts avec la maîtrise dont il a donné tant de preuves depuis Verdun.

L'ennemi continue d'engager ses réserves. Au nord de l'Aisne, il parvient à dégager les abords de Soissons jusqu'à Courtil. Au sud de la rivière, la division marocaine qui, jusqu'à midi, a résisté sans faiblir, participe à la contre-offensive menée par les 35e et 51e D. I.

Courmelles est réoccupé ; les rives de la Crise tombent de nouveau entre les mains des Français. Cependant à la nuit, les Allemands, par un violent retour, les obligent à un léger repli vers l'ouest.

Plus bas, suivant le couloir de l'Ourcq, ils dépassent Neuilly-Saint-Front et approchent de la forêt de Villers-Cotterets dont le 2e corps de cavalerie (Robillot), combattant à pied, leur barre l'accès, de concert avec des divisions d'infanterie.

Au sud, l'ennemi se lance contre Château-Thierry où le 33e d'infanterie coloniale le décime dans les rues ; il atteint la Marne à Dormans, Vincelles et s'approche de Verneuil. Vers l'est, il est contenu à Anthenay, Olizy-et-Violaine, Sainte-Euphraise.

Du côté de Reims, il fait quelques progrès aux abords immédiats de la ville, atteint le front Bligny-Ormes-Saint-Brice ; on se bat dans les faubourgs à l'ouest de la ville.

 

LA PROGRESSION ALLEMANDE DU 1er JUIN (1 /6) AU 5 JUIN (5/6).

LA POUSSÉE VERS L'OUEST

Journées du 1er au 5 juin.

Carte ci-dessus.

Au soir du 31 mai, un nouveau conseil de guerre réunit les grands chefs allemands. L'Empereur et Hindenburg se prononcent pour la continuation de l'offensive. La poussée vers la Marne ayant absorbé toutes les réserves des corps du centre et de l'est, il n'est plus possible à l'ennemi d'accentuer son effort dans la région de Château-Thierry où affluent les réserves françaises ; il décide donc de pousser vers l'ouest.

Dès minuit, il attaque. Dans la région de Soissons, ses efforts n'aboutissent qu'à de faibles résultats ; mais au sud-ouest de la ville, là où il dispose encore de réserves importantes, il atteint le 1er juin au soir le ruisseau de la Savières et la ligne Dammard, Hautevesnes, Bussiares, Etrepilly. Le deuxième corps de cavalerie, passant à la contre-attaque, lui fait payer cher son avance de ce côté.

Dans cette même journée, les Allemands s'emparent de la partie nord de Château-Thierry, défendue jusqu'à la dernière extrémité par la division coloniale Marchand qui leur interdit ensuite le passage de la Marne.

Du côté de l'est, la bataille est moins violente; cependant la 120e D. I. doit défendre âprement les petites boisées en avant de Cuchery et, à l'extrémité de la ligne, les coloniaux, imperturbables, ne permettent pas à l'adversaire de faire un pas de plus vers Reims.

Le 2 juin, le plan de l'ennemi se précise. Ses efforts principaux se portent à l'ouest. Au sud de l'Aisne. il parvient jusqu'à Missy-aux-Bois et plus bas, au cours de l'après-midi, des combats terribles où se heurtent des offensives opposées, se livrent sur les deux rives de l'Ourcq. Les cavaliers français, pied à terre, dans un élan superbe, parviennent à refouler l'Allemand au sud de Dammard, mais le soir, de nouvelles forces les obligent à reculer.

Le 3, l'ennemi procède à une attaque d'ensemble entre l'Aisne et l'Ourcq, contre la forêt de Villers-Cotterets. Il joint aux troupes en ligne toutes ses réserves disponibles (3 divisions fraîches). Au nord, il enlève et dépasse Missy-aux-Bois et, au prix de pertes très élevées, arrive jusqu'à Ambleny et Dommiers, où des renforts français s'opposent à toute nouvelle avance. Plus bas, il atteint Longpont et, au sud de la forêt, parvient à s'infiltrer le long de l'Ourcq, se dirigeant par Troësnes vers la Ferté-Milon. Le soir, après de lourds sacrifices, il est arrêté sur la ligne Montaigu Dommiers, Longpont; la forêt de Villers-Cotterets reste inviolable.

LA FORÊT DE VILLERS-COTTERETS SACCAGÉE PAR LES OBUS.
Photo prise sur la Roule Nationale n° 2, à 500 mètres de la Ferme Vertes-Feuilles (Voir p. 94).

Le 4 juin, la lutte diminue d'intensité; des combats se déroulent encore, particulièrement en lisière de la forêt et vers Chézy, mais ils n'ont ni l'ampleur ni les conséquences de ceux des jours précédents.

L'armée du Kronprinz est à bout de souffle : le 5 juin, de l'Oise à la Pompelle, elle a 34 divisions en ligne, ses réserves ont toutes été engagées, sauf 7 divisions dont 2 sont médiocres et 2 assez bonnes seulement ; 8 divisions ont dû être retirées de la bataille.

A partir du 5 juin, l'ennemi ne tente plus que de simples actions locales et doit défendre contre les attaques françaises le terrain conquis. Au nord, la division du Maroc lui enlève en deux nuits les positions d'Ambleny.

La lutte se poursuit violente le long de la Savières de Troësnes à Longpont, où les troupes françaises récupèrent du terrain ; au nord-ouest de Château-Thierry, sur la ligne Dammard, Veuilly-la-Poterie, Belleau, Bouresches, les troupes américaines, intercalées entre les divisions françaises, se montrent ardentes et résolues : leur 2e division, le 10, reprend le bois Belleau.

Dans la Montagne de Reims, autour de Bligny, Champlat, Sainte-Euphraise, Vrigny, les forces françaises, italiennes et britanniques résistent brillamment.

DU 9 AU 18 JUIN, L'ENNEMI TENTE VAINEMENT D'ÉBRANLER LES SAILLANTS DE L'AISNE ET DE REIMS

Le saillant de l'Aisne couvre Compiègne et la roule de Paris.

Le saillant de Reims couvre l'aile gauche de l'armée Gouraud.

Voir le texte correspondant à la page 14.

Les offensives allemandes du 9 au 18 juin sur les saillants de l'Aisne et de Reims.

Voir la carte ci-dessus.

Sur les deux flancs de la poche creusée par l'ennemi, le saillant de l'Aisne qui entoure les forêts de Laigle, de Compiègne et de Villers-Cotterets, et le saillant de Reims, adossé à la Montagne de Reims, sont à la fois un obstacle et une menace pour les Allemands. Ils vont s'acharner à les réduire.

Le saillant de l'Aisne est attaqué le premier. Du 9 au 11 juin, l'armée de von Hutier met tout en oeuvre pour le percer par le nord en essayant de s'emparer de Compiègne. La tentative échoue.

Le 12 juin c'est contre l'autre face du saillant de l'Aisne qu'est donné l'assaut.

Après une préparation d'artillerie commencée à 2h30 du matin et menée avec une telle intensité que toutes les lignes sont bouleversées, les Allemands déclenchent à 5 heures une puissante attaque sur le nord et le nord-ouest de la forêt de Villers-Cotterets, le long du rû de Retz.

Au nord, le long de l'Aisne, du côté d'Ambleny, ils piétinent toute la journée sur place et laissent devant la division marocaine des monceaux de cadavres ; au sud, dans la région de Longpont et de Corcy, ils ne peuvent progresser de plus de 400 à 500 mètres ; au centre, où porte leur effort principal, grâce à de violents tirs d'artillerie, ils refoulent les troupes françaises du plateau à l'ouest du ravin du rû de Retz, s'emparent de Cœuvres, de Saint-Pierre-Aigle, de la ferme Vertes-Feuilles, et poussent vers Montgobert.

Le 13, ils pénètrent dans Laversine, mais ne peuvent déboucher de Coeuvres, ni progresser à l'ouest de la ferme Vertes-Feuilles. Ils ont échoué encore une fois.

Le 15, un brillant retour offensif, en dégageant le rû de Retz, ramène les Français dans Cœuvres, à l'est de Montgobert, aux abords de Chalosse (Voir l'itinéraire de la p. 75).

A l'est, les Allemands attaquent le saillant de Reims, le 18 juin, de Vrigny à la Pompelle. Ils échouent pareillement.

De la fin de juin au 15 juillet par une série d'opérations locales, les Français dégagent la forêt de Villers-Cotterets et reprennent la plus grande partie du gain réalisé par les Allemands le 12 juin.

LES AMÉRICAINS ARRIVENT...

 

LE "FRIEDENSTURM"

Offensive allemande du 15 juillet.

Pressés d'en finir et hypnotisés, comme en 1914, par Paris, qu'ils menacent à la fois par la vallée de l'Oise au nord, par les vallées de l'Ourcq et de la Marne, à l'est, les Allemands décident une nouvelle offensive, plus formidable encore. C'est le "Friedensturm" ou Bataille pour la Paix.

Cette offensive est un moment capital de la guerre ; son échec fut pour les Allemands d'autant plus retentissant que sa conception et ses moyens avaient été plus grandioses et plus puissants. C'est la première phase de la défaite militaire allemande.

LES OBJECTIFS AMBITIEUX DU " FRIEDENSTURM

L'attaque déborde le front de la Marne : elle s'étend, en effet, sur 90 kilomètres, de Chàteau-Thierry à Massiges, au bord de l'Argonne.

La bataille en Champagne sera exposée dans le Guide illustré: CHAMPAGNE et ARGONNE.

Les objectifs de Ludendorff,

Carte ci-dessus.

Ludendorff projette, par une attaque frontale, de séparer les armées alliées du nord de celles de l'est, en tournant d'une part, Verdun par Sainte-Menehould et la vallée de l'Aisne supérieure, d'autre part, Reims et la Montagne de Reims par la vallée de la Marne.

Ce résultat obtenu, il se rabattra sur Paris qui ne pourra résister longtemps. C'est le rêve de von Moltke caressé à nouveau quatre ans après la première Bataille de la Marne.

Pour réaliser ce plan ambitieux, l'ennemi ramasse tous ses moyens dans un effort ultime. Pendant un mois, il concentre sans cesse chars d'assaut et troupes d'attaque, batteries lourdes et de campagne ; il accumule les dépôts de munitions jusqu'aux abords des premières ligues, rassemble un matériel de ponts formidable ; tous ces préparatifs se font de nuit et toutes les précautions minutieusement prévues pour dissimuler les mouvements sont appliquées avec une rigueur mécanique.

Entre Château-Thierry et Reims, le but allemand est double : d'une part, franchir la Marne et marcher au sud sur Montmirail et la vallée du Petit-Morin ; d'autre part, longer la rivière vers l'est pour tomber sur Epernay. Les objectifs prévus pour le premier jour sont Epernay et des points à 8 ou 10 kilomètres au sud de la Marne. Le front d'attaque s'étendra de Chartèves (8 km. est de Château-Thierry) à Vrigny (8 km. ouest de Reims).

Avant le 15 juillet, l'ennemi avait en ligne sur le front d'attaque 7 divisions; il leur en adjoint 7 autres. Au total, sur la montagne de Reims et la Marne, en ligne et en réserve il a 30 divisions environ, dont quelques-unes sont parmi les plus réputées de l'Allemagne : en particulier, les 1re et 2e divisions de la Garde et la 200e division (chasseurs).

En dépit de toutes ses précautions, Ludendorff n'a pas surpris le commandement français qui a pu, grâce à ses services de renseignements et de reconnaissances aériennes, délimiter presque complètement à l'avance le cadre de l'offensive allemande et en déterminer l'heure.

L'OFFENSIVE DU 15 JUILLET (15/7)
LA MENACE DU 16 JUILLET (16/7) VERS ÉPERNAY.

Le 15 juillet.

Voir la carte ci-dessus.

Dans la soirée du 14 juillet, la préparation d'artillerie commence vers minuit et l'attaque, dont l'heure est décalée, semble-t-il, de l'ouest à l'est, se déclenche à 1h.20 au sud de la Marne, à 4h20 à Chaumuzy.

Pendant la nuit, l'ennemi jette des ponts et des passerelles, sur la Marne, deux entre Tréloup et Dormans, les plus importants, de 8 à 10 mètres de large, d'autres en face de Soilly, Courthiézy, Reuilly, Jaulgonne, Mézy et Chartèves.

Avant le lever du jour, l'ennemi franchit la Marne, et attaque de Charlèves à Mareuil-le-Port, les divisions de première ligne établies sur la rive sud. Les positions de Courthiézy, Soilly, Chavenay, Troissy, Nesle-le Repons, sont âprement défendues. Le terrain n'est cédé que pied à pied et toute cette région est le théâtre de combats héroïques. Le 33e colonial entre autres unités, se couvre de gloire par sa défense de Mareuil-le-Port et par sa résistance dans les bois de Nesle-le-Repons. Les Allemands sont arrêtés sur la ligne Celles-lès-Condé, la Chapelle-Monthodon, Comblizy (où déjà les réserves françaises passent à la contre-attaque), Œuilly, Reuil.

Au nord de la Marne l'attaque, contenue toute la matinée sur la première position par 2 divisions françaises et le 2e corps italien, progresse dans la soirée jusqu'à la seconde position où elle est arrêtée.

LE GÉNÉRAL BERTHELOT.

Pendant toute la journée, malgré les épais rideaux de fumée qui les dissimulent, les avions alliés repèrent les ponts jetés sur la Marne et les bombardent à faible hauteur ; ils en détruisent plusieurs, précipitant les troupes et les convois dans la rivière ; ensuite, ils attaquent à la mitrailleuse les troupes qui ont débouché sur la rive sud. Dans la seule journée du 15, les bombardiers français, aidés par leurs camarades américains et britanniques , jettent 44 tonnes de projectiles sur les passages de la Marne et infligent à il ennemi des pertes considérables. "Il n'y a guère de fleuve qui ait été aussi bien défendu", dira le Berliner Tageblatt, le 17 juillet. Jamais hommage ne fut d'ailleurs plus mérité.

Le 16 juillet.

Voir la carte ci-contre.

Le 16, au sud (le la Marne, des divisions françaises amenées en renfort continuent vers la Chapelle-Monthodon, les contre-attaques dessinées la veille au soir. L'ennemi, contenu sur ce point, pousse énergiquement bar Epernay ; le soir, vers 16 heures, partant de l'est de Leuvrigny avec (les forces importantes, il atteint le front Chêne-la-Reine, Villesaint. Entre la Marne et l'Ardre, Français et Italiens contre-attaquent également, niais sont rejetés sur la ligne Belval-Venteuil.

LES ATTAQUES ET CONTRE-ATTAQUES DU 17 JUILLET (17/7).

Le 17 juillet.

Voir la carte ci-dessus.

Si Ludendorff a obtenu un léger avantage tactique au sud-ouest de Reims et sur la Marne, il a complètement échoué en Champagne.

Renonçant à tourner Reims par l'est, il va chercher à déborder la montagne de Reims par le sud. Il lui faut un succès à tout prix

Il tente une manœuvre périlleuse, dictée autant par la témérité que par la méconnaissance des ressources françaises qu'il croit épuisées : il va s'acharner en direction d'Epernay. Ludendorff jette ses masses sans compter, s'efforçant, à coups d'hommes, d'atteindre le but fixé ; il lance par cinq fois, en cinq endroits différents, de grosses attaques, mais dans l'ensemble il est repoussé ; dans la vallée de l'Ardre, il doit même se défendre contre des retours offensifs.

Pendant ce temps, 4 divisions françaises prennent une vigoureuse offensive dans la région de Dormans. Les ponts sur la Marne, bien que masqués par des nuages artificiels, sont sans cesse bombardés par les avions et les canons alliés et sont parfois détruits ; l'ennemi tend à en restreindre le nombre pour augmenter les passerelles, moins vulnérables ; il a maintenant 30 passerelles entre Tréloup et Reuil-sur-Marne, la plupart entre Tréloup et Troissy.

Ainsi la résistance alliée, loin de céder, s'accroît. Les troupes de Ludendorff n'avancent que pour reculer aussitôt et subissent de lourdes pertes ; elles s'essoufflent déjà. Soudain, la grande offensive alliée à laquelle 1a presse ennemie ne voulait pas croire, se déclenche, le 18 juillet, sur le flanc droit allemand et dans le dos des divisions qui luttent désespérément vers Epernay.

LE GÉNÉRAL FOCH ET LE GÉNÉRAL FAYOLLE.

 

L'OFFENSIVE ALLIÉE DU 18 JUILLET

Dès le 12 juillet, Foch a donné l'ordre de se préparer à prendre l'offensive sur le flanc ouest de la poche de Château-Thierry.

Le Commandement français savait de façon certaine qu'il serait attaqué quelques jours plus tard sur un large front à l'est et à l'ouest de Reims. Pétain, laissant à Gouraud en Champagne et à Berthelot, entre la Marne et Reims, la lourde charge de contenir par leurs propres moyens le "Frie- densturm", a préparé la concentration, entre l'Aisne et l'Ourcq, des armées Mangin et Degoutte, sous les ordres de Fayolle.

Ainsi, au même moment où les divisions allemandes se massent vers le flanc est de la poche, les divisions alliées se hâtent vers le flanc ouest. Ces deux mouvements remirent toute la bataille. Mais tandis que les Allemands sont suivis pas à pas et se voient opposer les effectifs juste nécessaires pour supporter le choc, l'importance de la concentration alliée échappe à la vigilance allemande, grâce aux futaies et taillis de la forêt de Villers-Cottereîs.

L'instant est décisif, l'heure de la contre-offensive attendue depuis trois mois est arrivée.

Les Alliés ont surmonté la crise des effectifs : le grand effort de l'empire britannique qui a reconstitué ses armées, l'appoint prodigieusement accru des forces américaines dont l'arrivée, depuis mars, est montée jusqu'à 8 et 10.000 hommes par jour, la présence d'excellentes divisions italiennes, donnent à Foch les moyens de manoeuvre et d'offensive qui lui manquaient jusqu'alors.

L'armée française, qui représente à elle seule 80 pour 100 des effectifs engagés dans la bataille, est plus ardente que jamais ; la ruée ennemie ne l'a ni usée, ni déprimée ; elle dispose d'un armement bien au point et surtout de l'instrument de rupture par excellence, le char d'assaut, dont l'emploi en grand va faciliter et soutenir l'effort de l'infanterie, contrebalancer l'effet des gaz toxiques et opposer aux sturmbataillons allemands une tactique nouvelle. Le moral du soldat est magnifique.

LA PRÉPARATION DE L'OFFENSIVE ALLIÉE DU 18 JUILLET.

L'ennemi n'est pas sans inquiétude, il s'est rendu compte que les opérations heureuses menées par les Français, de la fin de juin au 15 juillet, dégageant la forêt de Villers-Cotterets, leur ont rendu d'excellentes positions d'attaque.

Le 11 juillet, le commandant de la 61 division allemande, en ligne au sud de l'Aisne, écrivait : "Les différentes petites attaques françaises peuvent être considérées comme les signes précurseurs d'une offensive de grande envergure."

Mais le haut commandement allemand, renouvelant l'erreur de von Klück en 1914 au sujet de l'armée Maunoury, s'est trompé sur la puissance des moyens alliés ; non seulement il n'a pas renforcé ce secteur dangereux, mais il a prélevé quelques divisions sur ses réserves pour nourrir son offensive dans les secteurs de la Marne et de Champagne.

La concentration des armées Mangin et Degoutte, admirablement camouflée, se fait en trois nuits : fantassins, chars d'assaut, cavalerie, artillerie formidable, sont amenés dans le plus grand secret.

De l'Aisne à la Marne, le front allemand est tenu par une partie de la VIIe Armée (von Boehn) qui échelonne sur cette distance 12 divisions en ligne ; 8 divisions forment la réserve du secteur.

LE GÉNÉRAL MANGIN DEVANT SON P. C.

Pétain a massé en face, du nord au sud :

La 10e Armée (Mangin) de l'Aisne à l'Ourcq : 1er corps (Lacapelle), 20e corps (Berdoulat), 30e corps (Penet), 11e corps (Prax), 1re D. I. américaine (Summerall), 2e D. I. américaine (Harbord). 15e D. I. écossaise.

La 6e Armée (Degoutte) de l'Ourcq à Château-Thierry : 2e corps (Philipot), 7e corps (Massenet), 26e D. I. américaine (Edwards), le D. I. Américaine (Cameron).

Soit l'équivalent de 21 divisions en ligne (la division américaine représentant environ deux divisions françaises).

Le but de l'attaque est la voie ferrée de Fère-en-Tardenois, la seule artère qui assure le ravitaillement des centaines de milliers d'Allemands engouffrés dans la poche de Château-Thierry. Si cette voie est prise, ou tout au moins tombe sous le feu de l'artillerie, la vie des armées allemandes deviendra impossible au sud de la Vesle.

Après Galliéni, Mangin et Degoutte vont engager une deuxième Bataille de l'Ourcq. Après Joffre, Foch remportera une deuxième Victoire de la Marne.

 

LA DEUXIÈME BATAILLE DE L'OURCQ

Journées des 18 juillet (181/7) et 19 juillet (19/7).

Carte ci-dessus.

Le 18 juillet, à 4h30 du matin, les armées 'Mangin et Degoutte s'élancent sur un front de 45 kilomètres, précédées de centaines de chars d'assaut. Un formidable barrage roulant d'artillerie s'est déclenché, en même temps que l'attaque. La surprise est foudroyante : la ligne allemande est enfoncée, les centres de résistance s'effondrent; dans les bois et les fermes organisées, les garnisons se rendent par centaines, des équipes agricoles sont cueillies en plein travail.

Au nord de l'Ourcq, l'armée Mangin progresse irrésistiblement à travers les grands plateaux à betteraves du Soissonnais, réalisant, en fin de journée, une avance moyenne de 7 kilomètres ; le soir, elle atteint le front : hauteurs nord de Fontenoy, Pernant, hauteurs ouest de la vallée de la Crise, Vierzy, Villers-Helon, Louâtre, Ancienville, Noroy-sur-Ourcq ; sa gauche est à moins de 3 kilomètres de Soissons et pousse même des éléments légers jusqu'aux faubourgs de la ville.

Au sud de l'Ourcq, l'armée Degoutte, dans un terrain plus accidenté et plus difficile, marque une avance moyenne de 5 kilomètres et pousse jusqu'à la ligne : est de Marizy-Saint-Mard, abords ouest de Neuilly-Saint-Front, Cointicourt, Courchamps, Licy-Clignon, Givry, Belleau.

Sur tout le front, le nombre (le prisonniers dépasse 10.000, de nombreuses batteries et un matériel considérable ont été capturés. Surpris, l'ennemi n'a réagi que médiocrement ; il a engagé 4 divisions nouvelles, au centre. Vers 18 heures, il a repris Vierzy, mais n'a pu le garder.

Pendant cette brillante marche offensive, de l'autre côté de la poche, Français et Italiens continuent leurs contre-attaques sans réaliser de progrès appréciables.

Le 19, dès 4 heures du matin, l'infanterie alliée et les chars d'assaut s'élancent à nouveau. La situation allemande est critique. Si Soissons tombe et si Mangin se glisse le long de l'Aisne, l'armée von Boehn, coupée de ses communications, sera prise à revers. Les Allemands jettent leurs dernières réserves immédiates dans la bataille (4 divisions) ; ils se cramponnent désespérément en avant de Soissons sur la Crise et contre-attaquent avec acharnement. Ils réussissent à progresser légèrement sur la route de Soissons à Villers-Cotterets jusqu'à l'est de Chaudun (la division marocaine livre sur ce point et à Chazelle un violent combat), mais partout ailleurs, en dépit de leurs efforts, ils sont refoulés. L'armée Mangin atteint Courmelles, les abords ouest de Villemontoire, Parcy-Tigny, l'ouest du Plessier-Huleu, Rozet-Saint-Albin ; l'armée Degoutte enlève Neuilly-Saint-Front, les hauteurs au nord-est de Courchamps et dépasse la ligne Priez-Givry. Les 10e et 6e armées ont, en deux jours, capturé environ 17.000 prisonniers et 360 canons.

LE GÉNÉRAL DEGOUTTE,
alors qu'il commandait la division marocaine.

La situation s'aggrave pour les Allemands. Dans la région Parcy-Tigny, les Alliés sont à 2 km. 500 de la route de Soissons à Château-Thierry et à moins de 15 kilomètres de la gare de Fère-en-Tardenois : l'ennemi ne peut donc plus se servir de sa grande route de communications nord-sud et son unique voie ferrée est sous le feu de l'artillerie. D'autre part, l'activité de l'armée Berthelot sur la Marne l'inquiète ; celle-ci a repris Montvoisin et abordé Œuilly, au sud de la rivière, avancé d'un kilomètre dans les bois du Roi et de Courton au nord.

La position des troupes allemandes au sud de la Marne paraît singulièrement aventurée.

 

LA RETRAITE ALLEMANDE

Le commandement allemand sent qu'il ne pourra plus mener la bataille dans cette poche de Château-Thierry où ses communications sont compromises, mais où, cependant, les nécessités de la lutte l'obligent chaque jour à jeter de nouvelles divisions. Il se voit contraint, lui qui, quatre jours auparavant, attaquait, de se soumettre à la volonté de son adversaire et d'ordonner la retraite. Mais cette retraite sera lente et méthodique.

Dans la nuit du 19 au 20, il repasse la Marne, abandonnant la partie la plus importante de ses gains des 15, 16, 17 juillet, et s'établit sur les hauteurs de la rive nord, mais il lui faudra sans cesse engager de nouvelles unités, ce qui l'obligera à renoncer à l'attaque projetée dans les Flandres.

Préoccupés de sauver le matériel prodigieux accumulé dans la poche depuis juin, les Allemands ne reculeront que pas à pas, sous une pression énergique; ils brûleront souvent leurs dépôts et aussi les villages évacués, après les avoir pillés ; les incendies et les explosions se succéderont fréquents dans leurs lignes.

LA PROGRESSION ALLIÉE DU 20 JUILLET (20/7) Au 25 JUILLET (25/7).

Journées du 20 au 25 juillet.

Carte ci-dessus.

Le 20, les Allemands prélèvent des divisions sur les armées voisines et engagent la 5e division de la Garde contre l'armée Degoutte, deux divisions et des éléments retirés de la Marne, contre l'armée Mangin. Ils s'efforcent d'enrayer l'avance de cette dernière et de la rejeter plus à l'ouest de la route Soissons-Château-Thierry, mais leurs attaques répétées, soutenues par une puissante artillerie, se brisent contre la ténacité des troupes alliées ; si celles-ci cèdent un peu de terrain à l'ouest de. Vauxbuin, elles progressent partout ailleurs ; le soir, la ligne passe par Mercin, abords ouest de Vauxbuin, abords ouest de Villemontoire, de Tigny et du Plessier-Huleu, Rozet-Saint-Albin, Sommelans, Monthiers, Bouresches.

Au sud de la Marne, la 9e Armée (de Mitry) qui vient d'être constituée, attaque à 6 heures du matin, un ennemi dont les préoccupations sont ailleurs. Sans trop de difficultés, elle atteint la Marne au milieu de l'après-midi.

Au nord de la Marne, la 5e Armée attaque sur le front Sainte-Euphraise, Belval. Un corps britannique est à cheval sur l'Ardre. En dépit d'une forte résistance et de plusieurs contre-attaques ennemies, elle a, au soir, avancé jusqu'à la ligne Sainte-Euphraise, abords ouest de Courmas, abords est de Courton et Marfaux, abords est de la Neuville, sud-est de Reuil.

Le 21, l'ennemi fait encore un gros effort et engage 4 nouvelles divisions, contre l'armée Mangin au nord de l'Ourcq; il lance à la contre-attaque 3 divisions appuyées par des tanks ; malgré tout, les Français avancent.

Au nord de la Marne, l'ennemi s'oppose énergiquement à l'avance française et contre-attaque sur les deux rives de l'Ardre, mais il ne peut empêcher Français, Britanniques et Italiens de s'emparer de Sainte-Euphraise, Bouilly et de progresser dans les bois de Courton.

Sa situation n'en reste pas moins critique, il risque de voir la retraite coupée à ses divisions engagées dans le fond de la poche à Château-Thierry où la pression des armées Degoutte et de Mitry s'accentue. Il exécute donc là une seconde retraite. Surmontant toutes les difficultés, les bataillons franco-américains passent la Marne dans la région de Château-Thierry , réoccupé par la 39e D. I. ; talonnent l'ennemi en retraite, progressent par endroits, de 10 kilomètres et atteignent le soir la région Brény-Chartèves.

Le 22, le front reste calme entre l'Aisne et l'Ourcq. Entre l'Ourcq et la Marne, l'ennemi exécute de violentes contre-attaques qui refoulent un moment le front allié, mais en fin de journée, ce front a dépassé la route de Château-Thierry à Soissons. Sur la Marne, les troupes françaises, sous le feu des mitrailleuses et des canons allemands, étendent vers l'est le franchissement de la rivière ; les pentes de Rozoy, Passy, Marcilly et le signal de Courcelles sont enlevés à la baïonnette et quelques éléments sont poussés à Port-à-Binson et au sud de Vandières.

Le 23, de l'Aisne à l'Ourcq, l'ennemi réagit énergiquement et quelques avances partielles sont seules possibles; les troupes françaises se heurtent à Villemontoire et Tigny à de nombreux nids de mitrailleuses et à une artillerie renforcée.

De l'Ourcq à la Marne, la résistance ennemie s'accroît également et passe parfois à la contre-attaque, mais les Alliés progressent dans les forêts de Fère et de Ris et dans le couloir qui les sépare. Quelques progrès sont également réalisés en amont de la Marne, vers Reuil ; cependant, en ce dernier point, l'attaque de la 70e D. I. ne parvient pas à rejeter l'ennemi. Dans la vallée de l'Ardre, du terrain est gagné malgré les divisions fraîches amenées par les Allemands.

Le 24, entre Ourcq et Marne, l'avance est de 6 kilomètres au centre et de 3 à 4 aux ailes. Au soir, le front est jalonné par Beuvardes, le Charmel, Chassins.

Le 25, au nord de l'Ourcq, de durs combats se livrent autour de Villemontoire, enlevé par la 12e D. I. (Chabord) ; d'autre part, le 11e corps (Prax) droite de la 10e armée, en dépit d'une farouche résistance qu'accroît l'arrivée de trois nouvelles divisions, reprend Oulchy-le-Château, Oulchy-la-Ville. Au sud de la rivière, des progrès sont réalisés entre Coincy et Le Charmet ; Beuvardes est réoccupé.

Sur la Marne, au cours de la nuit et dans la journée, les Français avancent sur la rive nord et occupent Reuil.

De la Marne à Reims, la progression continue lentement, gênée par les contre-attaques ennemies,

Du 27 AU 29 JUILLET, LARGE RECUL DE L'ENNEMI,
SUIVI D'UN TEMPS D'ARRÊT JUSQU'AU 31 JUILLET.

Journées du 27 au 31 juillet.

Carte ci-dessus.

Le 26 au soir, et le 27, sous la pression franco-américaine, qui menace par l'est et le sud Fère-en-Tardenois, nœud vital de communications, l'ennemi exécute un troisième mouvement de retraite, celui-ci de plus grande envergure au sud de l'Ourcq et au nord de la Marne ; il est poursuivi par les Alliés qui, au soir du 27, bordent l'Ourcq jusqu'à Fère et au nord de la Marne occupent la ligne Champvoisy, Passy-Grigny, Cuisles, La Neuville-aux-Larris, Chaumuzy ; les Britanniques enlèvent Bligny. La cavalerie française pousse des patrouilles jusqu'à la ligne Villers-Agron, Romigny, Ville-en-Tardenois au contact de tranchées garnies de mitrailleuses où l'ennemi semble décidé à résister.

Le 28, la 62e D. I. (Girard) pénètre dans Fère-en-Tardenois, flanquée à droite par la 42e D. I. américaine, cependant qu'au nord de la Marne, des progrès sérieux, dans la région de Sainte-Gemme sont accomplis par des forces franco-américaines.

L'ennemi relève des divisions épuisées et, du 28 au 30, engage 6 nouvelles divisions.

Sa résistance, très sérieuse, appuyée par de nombreuses mitrailleuses et par de vives contre-attaques, ne permet, le 29, qu'une légère avance entre le Plessier-Huleu et l'Ourcq ; en dépit de leurs efforts, les franco-américains ne peuvent dépasser Saponay et Seringes.

Toutefois, au centre, l'Ourcq est franchi de Fère-en-Tardenois jusqu'à Ronchères.

De Ronchères à Vrigny, l'avance est très lente. Les 30 et 31, l'ennemi contre-attaque au nord de Fère et dans la vallée de l'Ardre où il incendie le village de Poilly.

Les Américains réussissent pourtant à s'emparer de Cierges et les Français progressent dans le bois Meunière.

AU SOIR DU 4 AOUT, LA POCHE EST COMPLÈTEMENT VIDÉE.

L'offensive du 1e août.

Carte ci-dessus.

Etablis sur des positions dominantes qui constituent une ligne solide de résistance, les Allemands croient enfin pouvoir arrêter les troupes alliées qu'ils supposent à bout de souffle, après quinze jours de durs combats. Hindenburg, dans un communiqué officieux adressé au peuple allemand, a justifié son "recul stratégique" et promis de nouveau la victoire en assurant que le "coup décisif" n'est que "renvoyé à quelque temps". Hindenburg est brusquement tiré de son erreur. Le 1er août, la bataille se rallume au nord de l'Ourcq, et aux portes de Soissons; les armées Mangin et Degoutte, nullement essoufflées, attaquent à nouveau entre Tigny et l'Ourcq. Leur but est d'emporter, en le tournant, le plateau boisé d'Hartennes, la clef de la défense de Soissons, en avant de la Crise.

Dans la région Tigny-Hartennes, de violents tirs de barrage et de mitrailleuses contiennent un peu l'avance. Entre le bois du Plessier-Huleu et Saponay, l'ennemi résiste et contre-attaque violemment. Une progression est cependant réalisée jusqu'à Cramaille. Plus à l'est, la ligne Cierges-Bois-Meunière-Goussancourt-Romigny est atteinte. Sur la droite, les armées de Mitry et Berthelot continuent de presser l'ennemi, dépassent la route de Dormans à Reims, encerclent Ville-en-Tardenois et progressent par la vallée de l'Ardre.

Le 2 août, Hartennes tombe et Mangin pousse vers la Crise. L'armée von Boehn tourne à nouveau les talons et l'ennemi marque in 4e mouvement, cette fois général, de retraite. Il doit évacuer Soissons. En dépit de ses mitrailleurs, les chasseurs à pied de la 11e division (Vuillemot) entrent dans Soissons, à 6 heures du soir ; avant la nuit, la Crise est partout franchie, Ville-en-Tardenois est enlevé ; dans la soirée, la ligne Soissons-Branges-Traniery-Gueux-Thillois, est atteinte.

En hâte, l'ennemi se replie sur la Vesle, mais les Alliés le talonnent énergiquement, refoulent ses arrière-gardes et, le 3 août au soir, atteignent le cours de l'Aisne jusqu'à Sermoise, la rive sud de la Vesle de Ciry à Villesavoye, les abords sud de Fismes, Branscourt, Courcelles, Thillois, et le canal de l'Aisne.

Le 4 août, des éléments passent sur divers points au nord de la Vesle, sur laquelle l'ennemi semble décidé à tenir et résiste énergiquement surtout entre Unchair et Fismes où les Américains pénètrent avec la 32e D. I. française. Le 5, l'ennemi ne possède plus que deux têtes de pont au sud de la Vesle, l'une à Courlandon, l'autre à l'est de Muizon, mais il oppose la plus vive résistance aux tentatives de franchissement de la rivière ; il réengage quelques-unes de ses meilleures divisions ; pourtant le 7, les Alliés prennent pied sur la rive nord à l'est de Braine et de Bazoches et tiennent partout solidement le cours de la rivière. La contre-offensive est terminée.

Le 6 août, Foch a été promu Maréchal de France, Pétain a reçu la médaille militaire et le général Pershing a été nommé Grand'croix de la Légion d'honneur.

Sur la Vesle, près de Bazoches, Français el Américains construisent
une passerelle sur l'emplacement d'un pont détruit.

Le bilan de la contre-offensive alliée.

En trois semaines, le gain allemand du 27 mai au 15 juillet a été perdu, la poche creusée par le Kronprinz impérial au prix de tant de pertes a été vidée, plus de 18.000 prisonniers et plus de 700 canons ont été capturés. L'inverse de ce qu'avait prévu l'ennemi s'est produit : les réserves françaises, loin d'être employées entièrement à boucher les vides du front, ont pris l'offensive ; une très faible partie seulement (2 divisions) des réserves britanniques est venue à la bataille. Au contraire, les réserves du Kronprinz de Bavière ont dû descendre en toute hâte de la région de Lille vers l'Aisne. Enfin, alors que Ludendorff doit renoncer à l'offensive qu'il avait projetée clans les Flandres, c'est Foch qui va prendre l'initiative d'une bataille nouvelle entre l'Oise et la mer. La seconde bataille de la Marne a donc une portée immense. A dater de ce jour, l'ennemi a été manoeuvré et dominé jusqu'à la capitulation de l'armistice,

Au cours de la bataille, les avions et chars d'assaut ont rivalisé d'ardeur avec les fantassins.

Du 15 au 20 juillet inclus, les aviateurs français, américains et britanniques n'ont cessé d'attaquer l'ennemi malgré un temps souvent défavorable, parfois dans la bourrasque comme le 17 juillet. En moins d'une semaine, en dehors des pertes qu'ils infligeaient à l'infanterie et à l'artillerie, ils ont abattu 137 avions et incendié 23 drachens. Les avions de bombardement ont lancé, de jour, 123 tonnes de projectiles et 86 de nuit.

Quant aux chars d'assaut français, ils ont accompli des prouesses et fait la terreur de l'ennemi. Un char monté par le brigadier Chevrel, étant resté en panne, se défendit pendant trente-six heures contre les Allemands qui l'avaient entouré. Un autre char, monté par le brigadier Cellier, captura, avec l'aide de 15 soldats américains, 700 Allemands, 14 officiers, 1 colonel, et 2 pièces de canon.

Les troupes alliées qui combattirent côte à côte avec les Français, prirent une part brillante à la victoire.

Les Britanniques se signalèrent par leur magnifique résistance dans le Massif de Saint-Thierry ; la 15e division écossaise se couvrit de gloire en prenant d'assaut Buzancy, au sud de Soissons. Les troupes françaises ont élevé à Buzancy, en souvenir de leurs camarades britanniques, un monument portant cette inscription :

ICI FLEURIRA TOUJOURS
LE GLORIEUX CHARDON D'ÉCOSSE
PARMI LES ROSES DE FRANCE.

Les Italiens (2e corps) défendirent efficacement les rebords de la Montagne de Reims et se distinguèrent dans la défense de la Montagne de Bligny.

Les jeunes troupes américaines, les dernières venues dans la bataille, se battirent admirablement : 8 divisions prirent part à la bataille et à la poursuite, mêlées aux armées Mangin, Degoutte et de Mitry.

Ce juste tribut rendu aux Alliés , il ne faut pas moins reconnaître que la seconde victoire de la Marne reste, comme la première, une manifestation glorieuse du clair génie et de l'héroïsme français.

LE DUC DE CONNAUGHT, AU Q. G. DU GÉNÉRAL DE MITRY.

 

LE TRIPLE HOMMAGE DU 6 AOUT 1918

FOCH
Maréchal de France

"... La confiance placée dans le vainqueur des Marais de Saint-Gond, dans le chef illustre de l'Yser et de la Somme a été pleinement justifiée. . ."

PERSHING
Grand'Croix de la Légion d'honneur

"Vous êtes arrivé sur le Champ de bataille à l'heure décisive pour la cause des Alliés..."

PÉTAIN
Médaille militaire

"... Vient de s'acquérir des titres impérissables et la reconnaissance nationale en brisant la ruée allemande et en la refoulant victorieusement..."


La visite du champ de bataille

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