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Robert Villate.
Foch à la Marne.
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CHAPITRE II.
LE TERRAIN DE LA BATAILLE
La bataille des marais de Saint-Gond n'a pas eu le caractère providentiel que d'aucuns ont voulu lui prêter en nous racontant que la garde allemande s'était enlisée dans les marécages. Les marais ont, certes, joué un rôle dans !es combats tragiques de 1914, mais ce rôle, ils ne l'ont joué que parce que les généraux ont su utiliser les caractères géographiques du champ de bataille. Ce sont ces caractères que nous voudrions rapidement esquisser avant d'étudier les péripéties du drame.
La 9e armée va lutter dans deux régions de natures différentes, d'une part, sur le plateau de Brie, d'autre part dans la plaine champenoise; entre ces deux parties du champ de bataille, elle s'accrochera à une avancée de la côte tertiaire du bassin parisien, elle utilisera l'obstacle des marais de Saint-Gond.
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LA BRIE.
Quand, du château d'eau qui se trouve à une centaine de mètres à l'est de Villeneuve-les-Charleville, on regarde le pays environnant, on a l'impression d'être sur une plaine d'altitude uniforme. Les ondulations générales sont assez faibles. Dans presque toutes les directions, le regard est arrêté non par une ligne de hauteurs, mais, en été, par les frondaisons vertes des bois et des forêts. Cependant, des dénivellations assez importantes semblent se dessiner. Une observation plus attentive permet de les voir.
Croquis n° 1. --- Croquis perspectif de la région des marais
de Saint-Gond.
(D'après E. M. de Martonne. Traité de géographie physique
p. 596).
Ce plateau de Brie, dans la région qui nous intéresse, est à une altitude moyenne de 210 mètres. La carte d'état-major au 1/80.0001, donne des cotes 210, 212, 218 et 221 en si grand nombre qu'il est nécessaire de bien les préciser par d'autres points du terrain. Cependant, de Villeneuve-les-Charleville, on aperçoit vers le nord une dépression, au delà de laquelle le plateau semble se maintenir à la même hauteur. Cette dénivellation est la vallée du Petit-Morin. La rivière coule vers l'ouest, à 80 mètres environ au-dessous du niveau du plateau. C'est par là que s'écoulent les eaux des marais de Saint-Gond. Non seulement la différence de niveau est sérieuse, mais la partie inférieure des versants est en pente raide. Peut-être est-ce dans cette raideur des pentes que se trouve la justification du nom de Talus donné à un des villages de la rive nord du Petit-Morin. La partie supérieure des versants est en pente plus douce. La rivière serpente dans une vallée un peu large, au milieu des prairies d'où s'élèvent des saules et des peupliers. Des bois s'étendent sur les versants comme ceux de Reclus ou des Grandes-Garennes.
Si l'ensemble du plateau repose sur une couche de calcaire perméable, il n'y en a pas moins un revêtement imperméable et humide. L'absence de limon, la présence de ce manteau de marnes et de glaises donnent au pays un aspect légèrement bocagé. Les bois sont nombreux, couvrant une grande partie du plateau : bois de taillis traversés parfois par des sentiers, d'autres fois sans aucun passage. A peine quelques points des Grandes-Garennes sont-ils en futaie. Ce sont des bois épais, difficiles à traverser, où la vue est limitée à quelques pas. La nature imperméable du sol amène la présence d'étangs, comme ceux qui, entre Lachy et Mondement, sont à la naissance du Grand Morin, ou de petites mares où les bestiaux viennent s'abreuver.
Suivant la nature du sol, suivant qu'il est plus ou moins pauvre, il y a des cultures, champs de céréales, ou des prairies encloses par des haies de rances artificielles.
Les villages sont répartis un peu au hasard sur le plateau; ils sont étendus en longues rues, parfois avec des solutions de continuité, entre les maisons, toujours avec des mares. Ceux des vallées du Petit et du Grand-Morin et de leurs affluents sont groupés autour de l'église ou du château accroché au versant, là où les calcaires apparaissent. Les maisons ne sont pas très solidement construites, elles sont édifiées plus souvent avec des briques qu'avec de la belle pierre. Quelques fermes isolées au milieu de la campagne s'aperçoivent, entourées d'un bouquet d'arbres. Quelques-unes sont les restes d'un ancien château, séjour de chasse.
Ce terrain, difficile pour la défense, sera la zone d'action de la 42e division et de la droite de la 5e armée.
Si nous nous avançons vers le sud-est, soit vers Mondement, soit vers Broyes, le caractère du pays change. Brusquement, en arrivant à ces villages, l'œil perçoit une dénivellation d'une centaine de mètres. Nous sommes sur le rebord de la première crête concentrique du bassin parisien. De Broyes, nous la voyons se prolonger vers le sud à perte de vue; de Mondement, nous l'apercevons former comme un cirque au nord des marais de Saint-Gond. Entre ces deux villages, une avancée de la crête vers l'est semble fermer, au sud, l'amphithéâtre des marais, tandis que, par places, des buttes-témoins montrent le recul de cette célèbre « falaise de Champagne ».
Ce talus très caractérisé est surmonté d'une corniche calcaire, qui, par sa résistance à l'érosion, est cause de ce relief. Du rebord de cette crête, la vue s'étend au loin. Les habitants de Broyes prétendent que, par les belles journées au ciel pur, ils aperçoivent la tour de la cathédrale de Troyes, à 55 kilomètres de là. C'est dire l'importance d'un pareil relief, qui donne de merveilleux observatoires sur la plaine environnante.
Attirons l'attention sur l'éperon de cette côte qui, par Allemant, va se terminer au Chalmont. L'érosion a tellement travaillé par endroits que cette avancée est réduite à quelques mètres de large. Mais elle coupe complètement le pays. Des hauteurs au nord des marais, on ne voit rien de ce qui se passe vers Linthes ou Connantre. Au contraire, a-t-on pris possession de. cette arête calcaire, rien n'arrête la vue jusqu'à l'Aube et la Seine. Nous verrons l'importance de cette hauteur, aussi bien lorsqu'elle permet les mouvements des réserves du 9e corps et de la 9e armée, que quand les Allemands font un effort infructueux pour s'en emparer. Remarquons, d'autre part, que cette crête d'Allemant marque la ligne de partage des eaux entre Marne et Seine.
Au milieu de la plaine se dressent quelques pitons isolés, buttes-témoins de la côte. Le Mont Août, à peu de distance du Chalmont, domine les marais au sud; le bois de Toulon couronne une de ces buttes au nord de la dépression marécageuse; plus à l'est, le Mont Aimé surveille les routes de Reims à Troyes et de Paris à Châlons; ce dernier site a toujours retenu l'attention des hommes : après avoir été un ancien sanctuaire druidique, il servit aux Romains pour un oppidum et, plus tard, la comtesse Blanche de Champagne y édifia un château fort pour dominer la campagne.
Le rebord de la côte, les buttes-témoins sont couverts de bois qui descendent sur les pentes supérieures. Plus bas, sur les versants bien ensoleillés et bien exposés, se trouvent des vignes; sur les autres versants, il y a des champs ou des garennes, suivant la plus ou moins bonne qualité de la terre, la teneur plus ou moins grande en craie.
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LES MARAIS DE SAINT-GOND.
Dans le vaste amphithéâtre limité au nord et à l'ouest par la côte tertiaire, au sud par la crête d'Allemant et le Mont Août, s'étendent les marais de Saint-Gond. Le Petit-Morin, émissaire des marais, prenait autrefois sa source très à l'est de la zone marécageuse. Depuis que son cours supérieur a été capté par un affluent de la Soude à Ecury-le-Repos, il a été, impuissant à déblayer sa vallée. L'accumulation des dépôts a amené la formation des marécages tourbeux.
Cette zone de marais est large de 3 kilomètres en moyenne et longue de 19 kilomètres; elle comprend des prairies plus ou moins tourbeuses, plus ou moins aquatiques. On a songé à les assécher depuis 1663; des travaux furent entrepris, jamais continués (19). Il reste cependant des canaux de drainage, des fossés plutôt, bordés d'aulnes ou de frênes, qui s'allongent en droite ligne à travers une étendue plate et sans fin. Les efforts pour rendre cette terre à la culture sont restés vains. Quand il pleut, le niveau d'eau s'élève et le sol recouvert est impropre au travail. Quelques hectares seuls entre Aulnizeux et Bannes supportent quelques céréales.; partout ailleurs, on ne trouve que la prairie ou la tourbière.
Deux grandes routes se trouvent aux extrémités des marais, routes de grand passage, existant depuis,des siècles : à l'ouest, presque à la limite du plateau de Brie, la route nationale n° 51, d'Epernay à Montereau; à l'est, la route de Vertus à Fère-Champenoise, continuant une ancienne voie romaine. Cinq routes et trois chemins traversent la zone marécageuse; de part et d'autre de ces passages sont des rigoles ou des flaques d'eau. En dehors de ces voies, les marais sont impraticables. Peut-être des gens du pays, en allant patiemment par les mois d'été particulièrement secs, arriveraient-ils, en sautant de motte de terre à motte de terre, à franchir les tourbières, mais il leur faudrait un temps assez long pour y parvenir, et ce ne serait pas sans danger. Les marais sont comme au XIVe siècle, quand les abbés d'Oyes se retirèrent an milieu des marécages, fondant l'abbaye de Saint-Gond, pour éviter les pillages et que le feu allumé au château de Mondement brillait sur la plaine comme un phare guidant les voyageurs.
La monotonie de cette plaine est connue. Le sol, presque uniquement composé de craie sur une grande épaisseur, apparaît uniforme dans son relief, dans les cultures qui le recouvrent, dans la vie qui s'y développe.
Le pays est sec, son aridité est presque proverbiale, la craie est essentiellement fissurée et spongieuse. Les eaux ne séjournent pas à la surface, elles s'infiltrent partout. On ne trouve presque nulle part des dépôts superficiels plus argileux, on ne voit nulle trace d'argile à silex ou de limon.
Le relief se présente soit sous forme de-grandes étendues plates, à peine marquées par une faible dénivellation, presque un sillon, soit par de grandes croupes aux pentes douces , entre deux vallées parallèles. Aucun point dominant ne permet d'avoir une vue d'ensemble du pays, aucun relief sérieux ne vient procurer un observatoire. Il faut monter sur le Mont Aimé ou sur le Mont Août, grimper sur la côte pour voir la campagne.
Il y a peu de cours d'eau au milieu de cette plaine à peine ondulée, il n'y a aucune grande rivière. La Somme, la Vaure et la Maurienne sont des ruisseaux coulant dans des vallées tourbeuses par place, aux rives bordées de saules ou de peupliers. Elles ont un régime très régulier. Les versants des vallées sont à pente douce, sauf pour la Somme, qui est plus encaissée en aval d'Ecury, où l'ancien cours supérieur du Petit-Morin fut capté par la Soude.
Leur direction générale est est-ouest. Cependant la Somme, en aval de sa capture, se dirige vers le nord-est, tandis que, vers Fère-Champenoise, la Vaure fait un coude et se dirige vers le sud-ouest. Le mouvement de terrain qui se trouve entre la Somme et la Vaure marque la ligne de partage des eaux entre les affluents de la Seine et ceux de la Marne, mais il n'est pas plus haut que la plaine environnante.
Toute la vie est concentrée le long des cours d'eau. C'est là que s'allongent les villages dont les maisons sont en file sur la rue. Les maisons sont rapprochées, mais non contiguës; elles sont généralement construites en briques; le torchis a disparu depuis quelques années. Les villages étant dans les vallées, même leurs clochers ne peuvent servir d'observatoire, c'est à peine s'ils dépassent le niveau des ondulations voisines. Dans la région qui nous intéresse, un seul village est en dehors des vallées, c'est Pierre-Morains. Montépreux et Œuvy, s'ils ne sont pas sur une rivière, sont à une source au fond d'une vallée, parfois sèche.
Dans les vallées, nous trouvons des prairies généralement étroites, mais au sol ferme. Sur le plateau, dans les parties les plus fertiles et à proximité des villages, des champs dont les récoltes ne sont guère riches. Là où la terre est plus pauvre, s'étendent des bois de pins ou des landes, maigres pâturages sur lesquels se promènent des troupeaux de moutons. Ces bois et ces landes sont enchevêtrés. Ils s'étendent sur des hectares de superficie, formant ainsi une zone sans grands champs de tir, où l'infanterie de la défense peut toujours craindre une infiltration et ne peut guère faire un bon usage de ses armes, tandis que son artillerie est trop souvent réduite à tirer en aveugle sur des buts qu'elle ne voit pas.
Ainsi, le terrain où la 9e armée va livrer la bataille présente trois zones caractéristiques :
A l'ouest, la Brie, que les Français tiennent, au sud d'une coupure très nette du terrain, où les bois individualisés, les villages isolés au même niveau que la campagne environnante, donnent des centres de résistance dans lesquels on se battra et où s'appuiera une défensive tenace et active;
Au centre, les marais, se déversant par une brèche à travers la côte tertiaire, dominés au nord par une crète tenue par les Allemands, et au sud par l'avancée d'Allemant, d'où nos observateurs verront les mouvements ennemis à travers les marécages et où s'accrochera notre résistance;
A l'est, au contraire, la Champagne, zone plate et libre, sans accidents de terrain, sans observatoire, merveilleux terrain d'infanterie pour celui qui attaque, à travers laquelle l'avance allemande continuera à déferler.
CHAPITRE III --- Le demi-tour (5 septembre)
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