Antonin Guillot
Le Camp Américain d'Allerey
(1918 --1919)

"A TYPICAL HOSPITAL CENTER"(9)

ORGANISATION ET VIE DU CAMP

2.

ADMINISTRATION, SERVICES, ACTIVITES


Une salle d'opération.

ADMINISTRATION DU CAMP

Le Centre hospitalier fut d'abord placé sous le commandement du colonel W.H. Hansel, remplacé le 23 juin 1918 par le colonel J.H. Ford qui restera à ce poste jusqu'à la fermeture du camp d'Allerey.

Le colonel Ford constitua son équipe avec le personnel du Centre, soit:

* un médecin-chef ;
* un officier chargé de l'accueil et de l'évacuation (des patients)
* un officier responsable de l'hygiène ,
* un officier chargé de l'intendance ;
* un officier responsable du Quartier Général
* un officier chargé du laboratoire ;
* un officier chargé des transports ferroviaires
* un officier comptable ;
Un officier (capitaine) était le représentant de la Croix-Rouge.

Le colonel Ford avait en charge l'administration générale du Centre hospitalier. Ses rapports avec chaque unité hospitalière (hôpital de base) se limitaient à ce qui n'était pas de la responsabilité propre de chaque commandant d'unité.

La répartition et l'affectation des malades, l'hygiène, les travaux de construction, les réparations et l'entretien, ainsi que l'installation des nouvelles unités, tout cela passait par ses bureaux.

Chaque département avait son importance et chacun avait un rôle bien défini. Toutefois, l'officier chargé de l'accueil et des évacuations était en rapport plus étroit avec chacune des unités en ce qui concernait répartition et évacuation des malades. L'officier chargé de l'hygiène était, lui aussi, en contact avec de nombreux services du Centre.

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* L'OFFICIER DU GENIE (Engineer Officer)

Pendant toute la durée du Centre hospitalier, les services de construction poursuivirent l'exécution du projet ; mais ils eurent en outre à résoudre des problèmes propres au Génie se présentant dans les secteurs déjà occupés, comme l'installation de canalisations d'eau, l'entretien des rues, etc.

Etant donné que ces services de construction devaient s'en aller dès achèvement du Centre et que n'était pas prévue l'affectation d'un spécialiste pour faire face aux problèmes ci-dessus, un officier du Génie du camp de convalescence fut détaché à l'état-major pour se familiariser avec les travaux effectués par ces services qui restèrent sur place jusqu'à la fermeture du Centre.

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* L'OFFICIER EN CHEF (Commanding Officer)

L'officier en chef faisait un rapport, chaque jour, à 13 heures, sauf le dimanche, auquel assistaient les chefs de section de l'état-major et les officiers en chef des diverses unités du Centre hospitalier.

A ces réunions d'état-major, les discussions les plus approfondies étaient conseillées et on recherchait suggestions et conseils sur ce qui concernait le service interne du Centre ou les relations avec l'extérieur.

La plupart des ordres écrits n'étaient émis qu'après examen, discussion et définition par toutes les parties intéressées. Le principal objectif était la réalisation d'un esprit de coopération et chaque officier avait conscience de ses responsabilités. On estimait que cette méthode avait accru la solidarité du Centre et était préférable à des méthodes autocratiques.

Les officiers en chef des hôpitaux de base tenaient le même genre de réunions avec leurs subordonnés, tous les jours, sauf le dimanche.

Le but recherché était que le Centre hospitalier et les diverses unités soient aussi fortement centralisés que possible. Vraisemblablement la centralisation fut poussée plus loin à Allerey que dans les autres Centres hospitaliers, du fait que, pendant un certain temps on eut à soigner un plus grand nombre de malades que partout ailleurs. C'était impératif pour assurer la meilleure coordination possible.

Chaque hôpital de base jouissait toutefois d'une grande liberté pour son organisation interne et son administration, compte tenu du règlement général en vigueur. L'officier en chef du Centre et son état-major, accompagné des officiers en chef de chaque unité, visitait à tour de rôle les différents hôpitaux de base, afin que chacun pût avoir connaissance des méthodes appliquées dans les autres unités. Le résultat en fut une émulation ainsi qu'une mise en application des idées nouvelles notées ailleurs, aussi rapidement que possible. Les résultats ont montré qu'il était bon de laisser aux officiers en chef des divers hôpitaux de base la plus grande liberté dans l'exécution de leurs tâches respectives.

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* LE CAPITAINE ADJUDANT-MAJOR (Adjutant)

Cet officier envoyait les ordres, s'occupait des permissions des hommes de troupe et des gradés, examinait les comptes-rendus des cours martiales et remplaçait éventuellement l'officier en chef.

Il avait en outre la charge des affaires courantes et de correspondance, la vérification des pièces comptables, la préparation des décisions des cours martiales, l'examen des réquisitions et des bénéfices sur les rations, le commandement des détachements de l'état-major, etc.

Sous sa surveillance, les hôpitaux de base les plus anciens du Centre instruisaient les nouveaux. Les trois premiers arrivés servirent d'écoles pour la formation des arrivants ; les officiers et le personnel stagiaires y demeuraient jusqu'à ce que le nouvel hôpital soit prêt à recevoir des malades, ce qui demandait en général deux semaines.

Le capitaine adjudant-major répartissait de nombreuses tâches parmi ses divers services, dont le bureau de l'adjudant chef divisé en plusieurs sections, ci-après:

* Section des statistiques

Le chef de cette section avait la charge de l'embauche, de la surveillance et du renvoi de tous les civils français employés par le département médical. Un maximum de 50 femmes pour chaque hôpital était autorisé par le chirurgien en chef, aux tarifs et conditions de travail fixés par ce dernier et le gouvernement français. Ces femmes travaillaient sous le contrôle des infirmières en chef des hôpitaux de base qui les répartissaient selon les besoins.

Un fichier avait été établi pour tous les malades, avec mention des transferts, classification A, B, C, D, date de sortie, etc., et il était utilisé en permanence, même pendant la nuit par le service des Postes, en attendant qu'il eût son propre fichier.

* Section d'admission et d'évacuation

Ce service était intimement lié à la section des statistiques.

* Section des ordres et des dossiers

Cette section avait la garde, en finale, de tous les documents dès leur admission dans les fichiers.

* Section de classement, de répartition, et du courrier

L'officier responsable de ce bureau avait la direction de toutes les activités postales du Centre hospitalier.


(ECH. 1/2)

* POLICE ET SECURITE INTERIEURE

Lorsque la première unité hospitalière (B.H. n° 26) arriva à Allerey, il n'y avait qu'un détachement de 10 hommes pour assurer la protection des biens du Génie. Ce noyau initial s'accrut peu à peu, en partie grâce à un recrutement extérieur au Centre hospitalier et aussi grâce à des détachements fournis par le camp de convalescence.

En août, quand le premier groupe de patients eut atteint la période de convalescence, le besoin d'une force de police plus efficace se fit sentir ; on augmenta graduellement les effectifs en prélevant parmi les convalescents des hommes des catégories A ou B, pour former deux compagnies provisoires, de 100 hommes chacune, affectées au Centre hospitaliers pour servir dans la garde. Selon les consignes en vigueur, chacun devait reprendre ses activités normales dès que son état le permettait, ce qui en définitive augmentait sérieusement les difficultés de fonctionnement de ce service de garde.

Le problème de la surveillance des convalescents se posa dès le début, du fait qu'on n'affecta pas à cette tâche de compagnies de police avant décembre.

Le camp n'était pas clos, seulement entouré de fossés, mais placé sous la surveillance d'une garde intérieure. Les M.P. (Military Police) assuraient la circulation dans le village et effectuaient des patrouilles à Allerey et dans les environs, en particulier à Verdun et Gergy.

Au départ, l'"assistant provost marshal" (grand prévôt adjoint), outre ses attributions propres, devait commander la garde intérieure, mais il fut par la suite entièrement déchargé de cette responsabilité qui fut attribuée à un "officier de ligne" choisi parmi les patients du camp de convalescence. A ce stade, la garde du Centre consistait en trois "sections" dont chacune comprenait trois sergents, douze caporaux et 79 simples soldats, commandés par un officier. Mais pendant plusieurs mois, on ne disposa que d'un nombre réduit d'armes à feu et on dut munir de gourdins les gardes intérieurs et certains gardes de postes situés en dehors du Centre hospitalier.

En général, la discipline à l'intérieur du camp et dans les villages des environs était bonne. Parfois, on cessait de délivrer des laissez-passer ou certains villages étaient consignés à la troupe, mais, selon les autorités américaines, cela résultait plus du manque d'effectifs de police que du manque de discipline... En outre les gendarmes français (brigade à cheval de Verdun -- en 1913--) étaient trop peu nombreux pour surveiller avec efficacité la consommation de boissons alcooliques par les soldats du camp ou pour faire respecter la législation sur la vente de ces alcools.

Les services de garde et de police se développaient en même temps que le Centre hospitalier. A partir de septembre on disposait de dix postes de police militaire couvrant six bourgs voisins et leur territoire. Ces postes étaient sous les ordres de l'"assistant provost marshal" qui devait assurer la discipline, tenir les dossiers, etc., de la M.P. cantonnée au Centre hospitalier. Il devait rendre compte de l'activité sur tout le territoire concerné, protéger les habitants contre les troubles et déprédations causés par des militaires américains, assurer l'arrestation et la détention de tous les retardataires, absents sans permission et autres contrevenants aux lois et règlements français comme américains, auxquels tous les Américains étaient soumis.

Une police militaire efficace qui, contrairement à la garde, agissait en dehors du camp, était également rendue nécessaire du fait d'infractions à la loi de la part de certains Français de l'endroit. Les plus graves étaient la vente illégale de boissons fortement alcoolisées et l'achat de biens américains, comme des uniformes militaires et des couvertures. Ces délits étaient sanctionnés par de nombreuses arrestations, des mandats de perquisitions et des poursuites judiciaires devant les tribunaux français ; il en était de même pour la vente clandestine d'alcools dans le Centre hospitalier par des ouvriers et des employés.

Les archives américaines font assez souvent mention de ces infractions relatives à la vente ou à la consommation de boissons alcoolisées et qui entraînaient des suppressions de laissez-passer (le 7 septembre 1918 : pas de laissez-passer pour le village ; le 20 septembre : "no passes to Chalon"). Quant aux perquisitions chez quelques habitants et poursuites pour détention d'effets, de linge provenant du camp, elles se soldaient fréquemment par la restitution des biens "volés", les accusés affirmant la plupart du temps que des soldats les leur avaient proposés en échange d'alcools divers. Si l'on en croit un contemporain, "la principale occupation des soldats non alités était de chaparder du matériel et des vêtements et de les vendre aux civils pour se procurer de l'argent. Tout était bon: souliers, chemises, imperméables, rasoirs, tabac Prince Albert, etc ......

Par ailleurs, de nombreuses plaintes émanaient de civils de la région à l'encontre de soldats pour vol de vins, de légumes, de montres, etc... Trois plaintes, déposées en septembre et en octobre 1918, ont concerné des viols (deux femmes et une fillette) et entraîné l'arrestation et la condamnation des coupables à de lourdes peines, emprisonnement et versement de fortes sommes (1000 francs pour deux d'entre eux).

Etaient très surveillées les absences sans permission, et on exigeait de tous les hommes rencontrés par la police la présentation d'un laissez-passer (limité parfois à 1/2 mile, soit 800 m., autour du camp) ; on infligeait à ceux qui étaient pris un travail rebutant, comme pour les bataillons punitifs. Pour l'arrestation de ces délinquants, la police militaire (M.P.) utilisait une motocyclette, engin qui permettait d'atteindre des endroits inaccessibles pour les gardes des postes ; le rayon d'action et l'efficacité des contrôles s'en trouvaient aussi fortement accrus.

La discipline commença à s'améliorer nettement, mais un peu tardivement, avec l'installation des bâtiments récréatifs de la Croix-Rouge américaine, et surtout lorsqu'on put y passer des films et organiser des distractions.

En janvier et février 1919, on renforça la sécurité intérieure, pour assurer la garde des fournitures et du matériel dans les bâtiments progressivement évacués par les malades et les convalescents ou le personnel d'encadrement.

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* LE SERVICE DE RENSEIGNEMENTS

L'officier de renseignements (intelligence officer) du Centre hospitalier recevait les informations des services de renseignement propres à chaque unité (hôpitaux de base). Il était également aidé par les officiers du service de censure du courrier, par le service des postes, par les employés du téléphone et du télégraphe, etc.

De cette façon, l'état-major était très bien informé de la conduite et de la loyauté de chacun, ainsi que du moral des hommes dans l'ensemble du Centre hospitalier.

Ce service constituait en outre un moyen complémentaire d'évaluation des besoins en personnel et pour déterminer la manière d'y faire face au mieux.

Les négligences qui pouvaient être ainsi révélées n'étaient généralement pas assez graves pour être passibles du Conseil de guerre et étaient sanctionnées par des mesures administratives.

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* L'INSPECTEUR

Le rôle d'inspecteur ne requérait pas la présence d'un officier à temps complet et ce fut l'officier en chef de l'hôpital de base n° 49 qui l'assuma. Il consacrait la majeure partie de son temps à des inspections et il prenait connaissance à la fois de la situation au sein du Centre hospitalier et des relations extérieures avec les collectivités françaises et les civils.

Il effectuait des inspections selon les besoins, conseillant des changements de méthodes, des transferts de personnel et d'équipements. Il étudiait les réclamations, rendait compte des fautes de service dans les hôpitaux de base, etc.

Il devait en outre recueillir les plaintes résultant de la mauvaise conduite des hommes, au cours de leurs sorties, et, si ces plaintes étaient justifiées, essayer d'y donner une suite favorable. Ce rôle devait faciliter les rapports amiables entre Américains et Français.

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* LES SERVICES SANITAIRES

Nous ne pouvons entrer ici dans le détail des mesures sanitaires et nous passerons sous silence certains aspects techniques ou administratifs de ces services.

Un inspecteur de la salubrité surveillait et réglementait l'état sanitaire du Centre hospitalier. Plus précisément il avait la responsabilité de prendre les mesures appropriées ci-après:

* évacuation des excrétions, déchets et ordures ;
* désinfection des vêtements, literies, bâtiments et trains-hôpitaux
* surveillance des mesures prises pour les maladies contagieuses ;
* inspection des unités hospitalières et compte-rendu de leur état sanitaire
* améliorations des équipements sanitaires, des bâtiments et terrains.

Chaque unité hospitalière avait un officier adjoint de salubrité et possédait un petit détachement permanent de soldats et sous-officiers chargés des travaux sanitaires.

Les problèmes d'ordre sanitaire étaient nombreux et furent accrus par le surpeuplement des hôpitaux, des insuffisances d'équipements et le mauvais état de la voirie du Centre hospitalier.

Notons que l'enlèvement des ordures était assuré (voir plus haut "Aménagements sanitaires"), sous contrat, par un fermier voisin qui, deux fois par jour et sous surveillance, accomplissait cette fonction de façon très satisfaisante, selon les autorités américaines.

Le service de désinfection avait un rôle important. Ces désinfections étaient assurées, au début, dans des "barils serbes", mais on installa par la suite quatre appareils de type américain. Ceux-ci, ajoutés à un appareil canadien de désinfection à air chaud installé dans le camp de convalescence, satisfaisaient à la plupart des besoins ; toutefois, dans les périodes de presse, on y adjoignit les "barils serbes" jusque vers la fermeture du Centre.

Dans le domaine alimentaire, signalons que les ustensiles des mess étaient désinfectés après chaque repas par immersion dans de l'eau savonneuse bouillante, puis dans de l'eau propre également bouillante.

Le lait était acheté aux laiteries du voisinage, mais il était si fortement contaminé que des arrêtés locaux exigeait sa pasteurisation avant consommation.

En novembre 1918, le Centre hospitalier d'Allerey hébergeait plus de 22 000 hommes, avec, en plus, environ 600 employés du Génie et cavaliers, et il se trouvait fortement surpeuplé.

Un grand nombre de malades atteints par la grippe et la pneumonie étaient arrivés au cours du mois d'octobre, ainsi que de nombreux gazés très sujets aux infections respiratoires. C'est le 4 novembre qu'on enregistra le maximum de cas de grippe, à savoir 1002, alors que le nombre total des malades du Centre hospitalier était de 16 063. Et quatre jours plus tard, fut atteint le plus grand nombre de cas de pneumonie, à savoir 291. Mais le 1e janvier 1919, le nombre de malades atteints par ces infections était tombé respectivement à 100 et 51.

Centre hospitalier d'Allerey. Appareil d'épouillage.

Centre hospitalier d'Allerey Salle de stérilisation.

Centre hospitalier d'Allerey. Salle de contagieux avec cabines.

Camp américain. Lavage de la vaisselle à l'eau bouillante.

D'autres maladies contagieuses se déclarèrent (diphtérie, méningite cérébro-spinale, oreillons, rougeole, rubéole, érysipèle, typhoïde, paratyphoïde et scarlatine), mais seule la diphtérie atteignit des chiffres alarmants ; elle avait été amenée par des porteurs chroniques, surtout des gazés fortement prédisposés. Le nombre de ces cas s'éleva progressivement à 95, le 2 décembre, les principaux facteurs de propagation étant le surpeuplement des salles, les mains polluées et, en premier lieu, un retard dans le diagnostic des cas de laryngites (cliniquement, ces cas étaient souvent très semblables à ceux de laryngite membraneuse provoqué par le "gaz moutarde"[10]).

Dans chaque unité hospitalière on réserva des salles d'observation pour l'isolement des malades éventuellement contagieux, où les lits furent disposés "en cabines" comme dans les salles de contagieux, et les aides furent munis de masques.

L'officier de salubrité de chaque hôpital de base effectuait de nombreuses inspections, de jour et de nuit, dans les salles de malades contagieux, et à titre exemplaire on infligea des punitions pour violation de quarantaine. On imposa une bonne ventilation et des séparations entre les lits, et les rassemblements furent interdits pendant plusieurs semaines, au cours de la période de plus forte épidémie de grippe.

L'utilisation de douches françaises, en nombre suffisant, se révéla très satisfaisante. Le personnel et les malades non alités étaient tenus de se doucher au moins deux fois par semaine et davantage selon les possibilités.

Les maladies vénériennes furent assez peu nombreuses, les mesures de prévention étant habituellement respectées.

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* LE SERVICE DES FOURNITURES MEDICALES

On installa à Allerey, comme en d'autres Centres hospitaliers, un dépôt de fournitures médicales, avec les objectifs suivants :

1. Disposer sur place de fournitures médicales pour faire face aux urgences.

2. Réduire les risques d'incendie dans les dépôts centraux.

3. Faciliter les livraisons par grosses quantités lorsqu'on disposait de véhicules.

Et, pour répartir les risques, on installa des entrepôts secondaires dans chacun des hôpitaux de base.

Au début, on fonctionna avec un officier et trois hommes de troupe et gradés, mais les besoins allant croissants, le nombre en fut porté à deux officiers, huit sous-officiers et des employés et ouvriers.

Les rôles étaient répartis comme suit :

* Section des dossiers---Le sergent chargé de ce service, avec l'aide de son personnel, gardait les dossiers, se chargeait des rapports et de la correspondance, des réquisitions et des renvois.

* Section des réceptions et de l'emmagasinage--- Cette section vérifiait toutes les fournitures reçues, les stockait dans l'entrepôt central, à l'exception de celles livrées directement aux hôpitaux de base. Le personnel vérifiait le déchargement de toutes les voitures et enregistrait le contenu de chacune.

* Section des livraisons--- Elle faisait varier les réquisitions selon les besoins, et effectuait les livraisons du dépôt aux unités. Ces livraisons comprenaient essentiellement des lits, des lits de camp, de la literie et des fournitures que certaines unités avaient fait venir des Etats-Unis.

Le premier travail de l'officier des fournitures médicales d'Allerey avait été de dresser l'inventaire de la quantité d'objets qui se trouvaient déjà, dès le départ, au Centre hospitalier.

Au moment du démarrage du service à Allerey, on remédia à des besoins urgents, avant réception de toutes les fournitures indispensables, en se procurant ces fournitures au dépôt d'Is-sur-Tille par camions, sans en attendre les livraisons par le train depuis le dépôt davantage éloigné de Cosne-sur-Loire qui approvisionnait normalement Allerey. Lors d'urgences, on eut également recours à des expéditions du dépôt de la Croix-Rouge américaine de Dijon, ou encore à des achats sur les marchés de certains articles.

Après la pénurie du début, les livraisons de fournitures médicales furent en général satisfaisantes. Mais bien souvent, les fournitures envoyées par le dépôt de Cosne-sur-Loire restaient de deux à quatre semaines en transit pour diverses raisons. C'est pourquoi on exigeait de tous de veiller à ce que l'approvisionnement soit toujours assuré, la responsabilité de chacun étant nettement engagée. Chaque hôpital de base devait prévenir le dépôt central dès qu'il avait un stock de moins de dix jours. De même on gardait une réserve d'un mois à ce dépôt central. En principe, il était prévu d'avoir un stock de fournitures pour 20 000 hommes et une durée de trois mois, mais ces chiffres n'étaient pas atteints. La moitié du bâtiment de l'intendance avait été réservé à ce stockage de fournitures médicales.

En octobre, en raison de la demande soudaine de lits du fait de l'épidémie de grippe et des combats de Meuse-Argonne, chacun des hôpitaux de base les mieux équipés dut installer un hôpital provisoire de 1000 lits, dont l'unité "mère" assumait l'approvisionnement.

Le tableau ci-après donne une idée des quantités de fournitures médicales parvenues au Centre hospitalier :

Voitures

280

  Draps 65 000
Lits normaux

13000

  Oreillers 62 000
Lits de camp

7 000

  Serviettes de toilette 87 000
Matelas

15 334

  Coton 14 900 kgs (33 000 pounds)
Couvertures

100 000

  Gaze 550 000 m (600 000 yards)
      Ether 32 000 (boîtes métalliques de 110 g.)

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* LES SERVICES SPECIALISES

L'organisation des services spécialisés était largement laissée à l'initiative des officiers commandant chaque hôpital de base qui nommaient leurs propres chefs de service en médecine et chirurgie.

Ces derniers, à leur tour, organisaient leur personnel pour un travail efficace.

Le chirurgien en chef nommait les spécialistes en chirurgie, médecine, neuro-psychiatrie, orthopédie, otorhino-laryngologie, soins dentaires, affection des yeux, de la tête et du cerveau.

Ces spécialistes avaient un rôle de conseillers pour leurs services respectifs ainsi que pour l'ensemble du Centre et travaillaient en collaboration avec les chefs de service de chaque unité.

Les chefs de service de chirurgie et de médecine recevaient périodiquement des rapports des différents hôpitaux, les vérifiaient, les complétaient et les transmettaient à leurs supérieurs.

Certains des services spécialisés étaient concentrés dans un même hôpital, en fonction des équipements, du personnel et des possibilités offertes.

Les cas chirurgicaux difficiles se traitaient dans les hôpitaux de base les plus anciens et les mieux équipés. Pour les problèmes des yeux, de la tête et du cerveau, c'était le B.H. n° 26 ; pour l'otorhino-laryngologie, le B.H. n° 49 ; pour l'orthopédie, les n° 26 et 49 ; de même pour la neuropsychiatrie.

Les cas médicaux, d'abord pris en charge par l'hôpital de base n° 25, furent ensuite répartis entre les diverses unités (le B.H. n° 56 était réservé à l'urologie, la dermatologie et aux maladies infectieuses et contagieuses).

Chaque hôpital était équipé de son propre laboratoire qui fonctionnait comme subdivision du laboratoire central. Ce dernier s'occupait des travaux les plus difficiles, de bactériologie, pathologie et sérologie, et il supervisait directement toutes les autopsies.

Mais malgré cette organisation, il n'était pas facile d'obtenir rapidement et en quantités suffisantes des fournitures telles que bandages et attelles, et il fallait pratiquement se débrouiller avec ce que l'on avait sous la main. En outre le manque de personnel provoquait des retards. A certaines périodes, toutes les unités tournaient avec du personnel détaché qui travaillait là où on en avait besoin plutôt qu'à sa place attitrée ; cela aggravait la charge de travail des titulaires, sauf quand des patients en fin de convalescence pouvaient être mis à disposition pour les aider.

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* LES MEDECINS CONSULTANTS (consultants in the professional services)

Les médecins consultants des diverses branches médicales dirigeaient chacun les activités de leurs spécialités respectives dans tout le Centre hospitalier. De plus, ils jouaient le rôle de chefs de service dans les hôpitaux où ils étaient affectés.

Ils avaient la charge d'évaluer les besoins professionnels et les ressources disponibles en personnel et en matériel. Ils devaient par ailleurs se tenir au courant des nouvelles méthodes de traitement et publier les informations médicales, par exemple sous la forme de conférences ou d'entretiens particuliers concernant le traitement de certains cas.

Pour assurer la diffusion des connaissances médicales, une réunion bi-hebdomadaire de la "Société chimico-pathologique" fut décidée ; on y discutait des cas peu courants, on rendait compte des résultats d'autopsie et on y faisait des démonstrations. Les cas retenus étaient ceux qui avaient entraîné des problèmes de diagnostic et de traitement, ou les cas chirurgicaux difficiles.

De cette façon, on présentait de nombreuses informations à caractère technique très poussé, particulièrement utiles aux officiers-médecins récemment arrivés et encore peu expérimentés. En outre plusieurs articles furent rédigés et publiés sur les activités médicales du Centre hospitalier.

Et ce fut grâce aux visites effectuées par les médecins consultants de salle en salle et aux discussions dans la société médicale ou ailleurs que l'on obtint la normalisation et la coordination nécessaires des services.

En outre, pour répondre aux besoins variable du service des infirmières dans les différents secteurs du Centre hospitalier, la doyenne des infirmières principales faisait, en plus de ses activités, des inspections et des enquêtes fréquentes pour assurer la meilleure répartition des infirmières entre les hôpitaux, les conseiller et veiller à leurs conditions de vie et de travail.

De même, la doyenne des diététiciennes étudiait les régimes alimentaires, la préparation et le service des repas et prodiguait ses conseils partout où elle le jugeait opportun.

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* LE SERVICE DES LABORATOIRES

En plus des laboratoires de chaque unité hospitalière, on créa un laboratoire principal muni d'une installation complète pour l'ensemble du Centre, sous la direction d'un officier-médecin.

La répartition des tâches entre le laboratoire central et les laboratoires des diverses unités était imposée par la direction des laboratoires et maladies contagieuses de l'A.E.F.

En gros, chacun des laboratoires d'unités hospitalières assurait les travaux suivants : les analyses d'urine courantes, les numérations globulaires, l'examen des crachats et des selles, les bouillons de culture, la bactériologie des blessures, la préparation des solution de Dakin (antiseptique) et l'établissement des groupes sanguins en vue des transfusions.

Pour le mois de décembre 1918, période d'activité maximale du Centre, on enregistra les chiffres suivants portant sur cinq des hôpitaux de base :

LABORATOIRES DES B.H.

n° 25

n° 26

n° 56

n° 70

n° 19
Numération des globules blancs

23

20

15

7

16
Numération des globules rouges

47

97

54

40

52
Numération différentielle

40

35

48

30

5
41liMell (quantitative)

253

396

181

141

114
Examen des matières fécales

25

95

9

8

2
Examen de crachats

68

135

34

52

14
Examen bactériologique

1 257

1 208

346

270

399
Frottis pratiqués sur les blessures

73

324

333

320

125
Divers

1 115

445

109

514

257
TOTAUX

2 901

2 773

1 129

1 382

874
Total des examens : 9 059          

Pour la période antérieure au 1er janvier 1919, on relève pour les principaux examens pratiqués au laboratoire du B.H. n° 49, un total de 13 612.

Pour la même période, on note à propos des travaux les plus importants effectués en laboratoire central un total de 27 627 examens.

En plus de ce qui vient d'être mentionné, de nombreux travaux de toutes sortes furent effectués au laboratoire général du Centre, en particulier :

* examens quotidiens d'eau non traitée ou traitée provenant de chaque hôpital de base
* examens de vêtements contenant des lentes, en vue de déterminer le rendement des appareils de désinfection ,
* fourniture de cultures de bacilles des foins pour vérifier les appareils de stérilisation
* isolation d'organismes faisant cailler le lait ;
* examens bactériologiques d'aliments en conserves douteux
* examens des produits chimiques du dépôt local de fournitures
* examens de frottis de gonorrhée provenant du camp de convalescents ,
* désinfection du courrier et des effets personnels des patients des salles de contagieux.

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* LES ACTIVITES COLLECTIVES DES HOPITAUX DE BASE

Hormis leurs activités propres, les hôpitaux du Centre hospitalier d'Allerey avaient des activités communes. Mais certains aspects des premières s'intégraient également au plan d'ensemble.

Ces hôpitaux, arrivés dans l'ordre suivant (B.H. n° 26, n° 25, n° 49, n° 70 et n° 97)[11], organisaient d'abord chacun un hôpital provisoire, comprenant sept à douze officiers et quarante sous-officiers et hommes de troupe et assuraient la relève d'une section incomplète, pour prendre en charge 1 000 patients peu gravement atteints. En gros, ils étaient autonomes.

Le personnel des trois unités hospitalières de la Croix Rouge américaine, qui avaient été les premiers hôpitaux arrivés à Allerey, avait été choisi dans de grandes organisations, de telle sorte que leurs équipes d'officiers-médecins se composaient d'hommes bien formés dans leurs spécialités respectives (chirurgie, médecine, laboratoires ou art dentaire) et bien au courant des méthodes médicales des autres unités.

De même, les infirmières, les diététiciennes, les techniciens, les hommes de troupe ou sousofficiers comprenant des diplômés d'université, des dessinateurs, des cuisiniers professionnels, tous avaient été recrutés parmi un grand nombre de postulants de bon niveau.

Ainsi, chaque hôpital de base de la Croix Rouge était composé de façon bien équilibrée. Mais ce fut un équilibre fortement compromis ensuite par la nécessité de fournir du personnel pour l'état-major, d'organiser les hôpitaux provisoires, ou bien de former des équipes chirurgicales destinées au front, etc.

Les autres hôpitaux de base, bien que disposant de personnels qualifiés, souffraient, par rapport aux trois hôpitaux de la Croix Rouge, d'un manque d'esprit de corps préalable. Et ils furent gênés au départ par l'obligation de grouper une bonne partie du faible équipement disponible dans les premiers hôpitaux arrivés, afin que les malades les plus atteints puissent recevoir des soins convenables.

En effet, chaque unité hospitalière de la Croix Rouge avait été dotée, au départ des Etats-Unis d'un matériel médical évalué de 30 000 à 100 000 dollars. Mais du fait que ce matériel n'arriva que deux mois environ après l'installation de ces unités à Allerey, il fut nécessaire de les équiper complètement, même aux dépens des autres unités, pour qu'elles soient en mesure de traiter au mieux tous les cas médicaux.

Par la suite, avec l'accroissement des ressources, les autres hôpitaux furent équipés plus ou moins bien, en particulier en laboratoires, salles d'opérations et rayons X.

Le regroupement des installations eut une influence sur celui des patients qui furent soignés dans des hôpitaux de base spécialisés (voir le chapitre "Services spécialisés").

Dans toutes les unités hospitalières du Centre, les cas médicaux et chirurgicaux étaient groupés dans des salles réservées autant que possible au traitement d'une seule catégorie de patients. Ainsi, on avait des salles pour les patients atteints de blessures infectées, de fractures et de luxations ; pour les cas de chirurgie de la tête, du visage, du nez, de la gorge ; pour la chirurgie dentaire ; pour les malades gazés ; pour les malades atteints de pneumonie, de grippe, etc. Chaque hôpital possédait une salle avec des cabines où l'on transférait les patients atteints d'une maladie contagieuse ou douteuse, et on les dirigeait, après diagnostic, vers la salle appropriée.

En fait, en raison du surpeuplement du Centre et de l'insuffisance de personnel et de matériel, il n'était pas possible de disposer d'une salle pour chaque type de maladie. Pendant la période la plus critique (octobre et novembre), des salles prévues pour 50 malades en recevaient 70 ; toutefois, les salles destinées aux maladies contagieuses ne durent héberger que 48 malades chacune.

En raison de cet isolement des malades, on créa localement plusieurs services dans certains hôpitaux ; par exemple un atelier pour les maladies psychonévrotiques professionnelles à l'hôpital de base n° 25 ; --- des ateliers orthopédiques dans les B.H. 25, 26 et 49. On équipa d'un matériel adéquat les hôpitaux ayant de ces activités spéciales, mais on ne réalisa jamais d'atelier orthopédique central.

L'organisation de chaque hôpital de base était conforme au plan général établi par le "War Department" (Ministère de la Guerre américain), certains services étant toutefois plus importants dans certains hôpitaux , et le personnel y était parfois insuffisant pour diverses raisons. Le prélèvement dans chaque unité hospitalière (sauf pour le B.H. n° 97) de une à six équipes chirurgicales, comprenant chacune deux officiers-médecins, trois infirmières et deux simples soldats ou sous-officiers, pour des missions à l'extérieur, eut pour effet de priver le Centre, de temps à autre, d'une grande partie de son meilleur personnel, pendant quelques jours et parfois plusieurs mois.

Le nombre total de malades admis au Centre hospitalier d'Allerey fut de 33 658, répartis comme suit :

B.H. n° 26 5 512 malades
B.H. n° 25 5 860 malades
B.H. n° 49 4 626 malades
B.H. n° 56 7 338 malades
B.H. n° 70 5 371 malades
H. d'évacuation n° 19 4 951 malades
B.H. B.H. n° 97: reçut des convalescents provenant d'autres B.H.

A titre d'exemple, le tableau suivant indique le nombre de malades traités au B.H. n° 25, avant le 1er janvier 1919, et donne une idée des activités médicales du Centre hospitalier :

Maladies Nbre de malades Décès Maladies Nbre de malades Décès
Pneumonies

248

74
Fièvre typhoïde

5

-
Grippe et bronchite

859

-
Paratyphoïde

1

-
Diphtérie

42

1
Tuberculose pulmonaire

9

-
Malades "porteurs" diphtérie

97

-
Malaria

3

-
Rougeole

4

-
Dysenteries et autres diarrhées

261

-
Rubéole

1

-
Néphrite

10

3
Oreillons

3

-
Psychonévrose

575

-
Scarlatine

2

-
Maladies cardiovasculaires

17

-
Erysipèle

6

-
Amygdalite

52

-
Méningite épidémique

2

-
Arthrite

70

-
Malades "porteurs" méningite

3

-
Diverses autres maladies

29

-
Malades gaz és

741

-
     

A noter le nombre élevé de cas de grippe et bronchite, de malades gazés et de psychonévroses (dépressions?) qui mériterait des commentaires.

De même, la liste suivante indique la gamme des activités chirurgicales à l'hôpital de base n° 49 :

Amputations

12
Drainages

75
Anévrismes

3
Corps étrangers

27
Appendicectomies

17
Opérations des hémorroïdes

22
Aspirations (vidange d'un organe)

1
Opérations de hernies

12
Circoncisions

4
Sections de lames vertébrales

2
Occlusions

305
Greffes (?) de peau

1
Colostomie (anus artificiel)

2
Thoracotomies

1
Débridements

13
Glandes Tuberculeuses

2
Décompressions

3
Venectomies

2

TOTAL: 506

C'est à l'hôpital de base n° 26 que l'on pratiqua le plus grand nombre d'opérations, à savoir 1021.

En ce qui concerne les cas chirurgicaux, certains hôpitaux exigeaient, dans l'ordre

* le débridement des blessures, s'il n'avait pas déjà été fait
* la culture des microbes de toutes les blessures profondes
* la préparation de frottis pour toutes les blessures ;
* le traitement de toutes les blessures par "Dakinisation"
* et la fermeture après obtention de trois frottis propres (le dernier ayant précédé de 24 heures l'opération).

Centre hospitalier d'Allerey. Salle de psychiatrie.

Centre hospitalier d'Allerey. Salle de rayons X.

Centre hospitalier d'Allerey. Salle de chirurgie.

Centre hospitalier d'Allerey. Une opération.

Le total des décès au Centre hospitalier fut de 429, y compris plusieurs par accident (noyade ou accident de chemin de fer), ce qui représente un taux de mortalité de 1,37%.

Statistiquement, 74,2 % des décès étaient dus à la maladie, 24,8 % à des raisons chirurgicales, mais il est difficile de faire le départ entre les deux causes, pour la raison que, si 40% des décès parmi les blessés étaient comptabilisés comme résultant d'une maladie intermittente (surtout les pneumonies), l'affaiblissement provoqué par la blessure était dans certains cas un facteur important de mortalité.

C'est en octobre qu'il y eut le taux de mortalité le plus élevé : 245 décès, dont la plupart étaient dus à des maladies respiratoires, la grippe et la pneumonie étant alors à leur maximum. On décela la pneumonie chez 61% des 356 morts soumis à l'autopsie (soit 218), dont trois quarts de bronchopneumonies (163) ; ce qui paraît considérable et représente plus de la moitié des décès enregistrés au Centre hospitalier d'Allerey.

Après toutes les informations qui précèdent sur les installations, les équipements et les services, on peut regretter que les aspects humains de la vie dans le vaste camp-hôpital d'Allerey n'apparaissent pas davantage.

Oublions donc un instant la sécheresse des statistiques et ayons une pensée pour tous les hommes qui ont souffert ou sont morts dans ce Centre hospitalier, à des milliers de kilomètres de leur pays et de leurs familles.

Pensons également à tous les chirurgiens, médecins et personnels divers qui devaient assumer des tâches difficiles et parfois écrasantes. Et le corps des infirmières a tenu une place dont on a très peu fait état ici, quoique capitale et exigeant un dévouement constant. Elles avaient la sympathie de leurs compatriotes évidemment, mais aussi celle de la population française. En témoigne, entre autres, le présent article :

"CHALON - Infirmières américaines. - Hier, par l'express de 15 h. 21, arrivaient de Paris 60 infirmières américaines, appartenant à la Croix-Rouge, et affectées à l'hôpital américain d'Allerey.

Elles portaient le costume des infirmières : robe bleue marine et chapeau de paille forme canotier de même nuance ; au col les initiales U. S. (United States) Etats-Unis.

Par groupes elles ont visité différents services et l'infirmerie militaire de la gare. Elles furent l'objet, à leur descente du train, d'une sympathique curiosité de la part des voyageurs et surtout des soldats américains présents". ("Le Courrier", 5 août 1918).

Par ailleurs, nous évoquerons plus loin le souvenir de deux infirmières qui avaient servi au Centre hospitalier.

.

* LA CROIX ROUGE AMERICAINE

A Allerey son rôle était de compléter l'approvisionnement du camp-hôpital, en fournissant aux malades et au personnel un supplément de confort.

Peu après l'organisation du Centre hospitalier, un officier de la Croix Rouge américaine fut affecté à l'état-major du Quartier général et il conserva la responsabilité des activités de celle-ci jusqu'à la veille de la fermeture du camp-hôpital.

Ce service se développa jusqu'à comprendre 3 officiers, 23 "ouvriers", 2 "chercheurs-enquêteurs" et un nombre variable d'employés civils. Le responsable de la Croix Rouge assurait la surveillance générale de son service, obtenait et répartissait les fournitures de cet organisme et coordonnait les activités de son personnel : un de ses adjoints s'occupait d'organiser au Centre hospitalier les distractions provenant de l'extérieur, fournissait projecteurs de cinéma, films, etc. ; un autre adjoint, en tant qu'inspecteur "sur le terrain", déterminait les besoins des patients, le rendement des "ouvriers"...

(COLL. MRS J. SIMPSON)
Allerey. Les infirmières de l'hôpital de base 25 (Noël 1918).

(COLL. MRS J. SIMPSON)
Allerey. Infirmières du B.H. 25 (repas de Noël 1918).

Miss Ruby Breuleux, infirmière de la Croix Rouge américaine au B.H. 25 d'Allerey.
(COLL. MRS J. SIMPSON)

Defilé des infirmières de la Croix Rouge américaine à Paris, le 14 juillet 1918.

Ces derniers, répartis entre les diverses unités (hôpitaux de base) se présentaient à l'arrivée des trains-hôpitaux, servaient du chocolat chaud, du café, et offraient des cigarettes. Ils portaient assistance de diverses manières aux patients pendant tout leur séjour dans les hôpitaux du Centre ; par exemple en distribuant des friandises, du tabac, du papier à lettre.... en assurant la vente à prix coûtant de fournitures, en rédigeant des lettres, etc.

Parmi les cadeaux distribués par la Croix-Rouge jusqu'au 1er janvier 1919, on peut citer, pour donner une idée de leur volume : 35 000 trousses (de toilette?), 375 caisses de chocolat en tablettes, 50 000 paires de chaussettes, 35 000 chandails, 5 000 paquets de cigarettes et de tabac, 100 cartons de chewing-gum. A Noël 1918, 15 000 paires de chaussettes furent remplies et distribuées, contenant en particulier des noix et des confiseries.

La Croix-Rouge répondait également aux besoins essentiels des patients, et son dépôt fournissait de nombreux articles nécessaires aux soins et au confort de chacun ; cela plus particulièrement dans les cas d'urgence, lorsqu'on ne pouvait les attendre des dépôts de l'armée. C'est ainsi que, pour subvenir aux demandes dues aux combats de Meuse-Argonne et lorsque l'embargo arrêtait les expéditions en provenance du dépôt de fourniture médicale de Cosne-sur-Loire, le chef local de la Croix-Rouge américaine put se procurer auprès du dépôt parisien de la Croix-Rouge : 10 000 couvertures, 10 000 draps, 1 000 blouses de chirurgien, 1 000 "casques", 1 000 paires de chaussons, 600 pyjamas, 2 000 yards (l 800 m) de tuyaux CARREL et deux voitures de pansements. La rapidité avec laquelle ces articles indispensables furent reçus à cette époque, épargna de toute évidence un très grand nombre de vies. Ces fournitures étaient expédiées par wagons accrochés à l'express Paris-Marseille, jusqu'à un point voisin du Centre hospitalier (à Chagny, sans doute) d'où ils étaient transportés par camions à Allerey.

Les "chercheurs-enquêteurs" recherchaient les parents et amis des patients du Centre hospitalier vivant aux Etats-Unis, ainsi que les morts ou disparus des forces américaines pour en informer les familles. Ils eurent aussi à établir un rapport détaillé sur des prisonniers américains évadés ayant atteint le camp d'Allerey en passant par la Suisse, et à les aider pour arranger leur situation.

Les diverses unités hospitalières du camp assuraient dans une certaine mesure leurs propres divertissements, tels que représentations théâtrales, concerts et bals, mais c'est à la Croix-Rouge américaine qu'incombait la tâche de réaliser des distractions d'une façon générale (recrutement de troupes de théâtre, obtention de films, etc., à l'extérieur) et de répartir les ressources offertes.

Chaque hôpital de base possédait un "chalet" de loisirs pouvant recevoir 600 personnes, et le camp de convalescence un "chalet" pour 1 500 personnes. Tous ces bâtiments étaient offerts par la Croix-Rouge américaine, qui y installa dix pianos et fournit les instruments pour un orchestre de cuivres, trois orchestres classiques et une formation de fifres, tambours et clairons.

A partir de la mi-octobre 1918 et jusqu'au 25 novembre, ces "chalets" de loisirs de la plupart des unités hospitalières furent remplis de lits pour recevoir des patients, mais à mesure qu'ils étaient libérés, on y montait des pièces de théâtre ; puis, lorsqu'en décembre, on disposa d'une alimentation électrique suffisante, on projeta des films cinq soirs par semaine dans chaque unité. De plus, chaque soir, de un à trois spectacles ambulants des A.E.F. furent donnés au Centre hospitalier.

Vers le 15 janvier 1919, la Croix-Rouge américaine ouvrit un "chalet" de loisirs pour les infirmières, comprenant des salles de lecture-écriture et de repos ; on y servait le thé chaque après-midi, et il y avait bal tous les soirs, sauf le dimanche... Ce même mois, la Croix-Rouge ouvrit au centre de Chalon-sur-Saône, un bâtiment contenant une salle de loisirs et d'écriture pour les soldats et sous-officiers, et des salons distincts pour les officiers et les infirmières, ainsi qu'un salon commun pour prendre le thé.

Chaque unité hospitalière d'Allerey avait une bibliothèque de 500 livres et l'on distribuait un grand nombre de revues américaines, anglaises et françaises, en particulier celles qui présentaient des illustrations sur l'actualité.

Enfin, dans le bâtiment de l'Etat-Major, la Croix-Rouge tenait une banque et un office de renseignements. La banque faisait des prêts et encaissait des chèques, et son activité s'élevait à plus de 785 000 francs. Quant à l'office de renseignements, il aidait environ 300 hommes chaque jour.

.

* LES AUMONIERS

A mesure que le Centre hospitalier se développait, le nombre d'aumôniers ---quatre aumôniers catholiques et quatre d'autres confessions--- se serait révélé insuffisant pour faire face aux besoins, peut-être du fait d'un manque de coordination.

Le doyen des aumôniers fut alors désigné pour superviser les activités de l'ensemble de ceux-ci ; il eut la responsabilité de la chapelle du Centre hospitalier et il établit un tableau de rotation pour son utilisation par les différents aumôniers. Chacun put alors répondre aux demandes des hospitalisés et du personnel, même en dehors de sa propre unité (hôpital de base).

Les services religieux avaient lieu dans la chapelle et éventuellement dans les salles de loisirs, et même dans les réfectoires, si ces dernières étaient parfois pleines de lits. On admettait momentanément ces solutions qui n'empêchaient pas un déroulement correct des offices.

Le service des obsèques était assuré par l'"officier des obsèques" qui était l'aumônier arrivé le premier au Centre hospitalier.

De temps à autres, les aumôniers se rencontraient pour discuter des questions relatives aux services religieux et aux besoins sociaux, et des activités en dépendant.

Activités qui comprenaient, en collaboration avec la Croix-Rouge américaine, l'organisation de distractions à l'intérieur de chaque hôpital de base, d'orchestres, de chorales, etc., ainsi que la préparation des cérémonies du "Thanksgiving"(12) et de Noël, l'aide aux soldats handicapés ou sans instruction pour la rédaction de lettres, etc. Tout cela dans un esprit d'assistance sympathique et dans une ambiance apaisante pour tous ceux qui réclamaient un secours spirituel ou avaient besoin de réconfort et d'encouragement.


LES PATIENTS, LES CONVALESCENTS, LE CIMETIERE, FERMETURE DU B.H.

Table des Matières